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Le démon de la colline aux loups · Dimitri Rouchon-Borie

Pourquoi j’ai eu envie de lire Le démon de la colline aux loups? Comme souvent, les billets tentateurs attisent mon envie. Ici, ce sont ceux de Mumu (encore) et de Céline qui ont fait le travail. J’ai ouvert le premier roman de Dimitri Rouchon-Borie avec un bel élan. Après une petite dizaine de pages, je me suis dit: « Pas encore une histoire de famille torturée? J’en ai lu des tonnes. Je commence à être blasée… » J’ai reposé le roman. J’ai déplumé ma PAL, lu cinq pages d’un roman d’Anne Tyler, dix du dernier roman de David Vann, cinq autres des Conversations de Miranda Popkey. Comme une musique en sourdine, la voix de Duke, le narrateur du Démon, me susurrait de revenir vers lui. J’y suis retournée. Plus pour l’écouter, lui, me raconter son histoire avec ses mots, que pour son histoire en elle-même.

Du fond de la cellule où il termine sa vie, Duke raconte, en tapant à la machine prêtée par le directeur, ses parents toxiques, ses frères et sœurs, l’école enfin, la famille d’accueil aimante et bienveillante, le procès, le squat, l’amour, l’hôpital psychiatrique, l’incendie, la prison. La voix de Duke, empreinte d’oralité, déconcerte au départ. Le roman n’aurait pas eu la même force s’il avait été écrit à la troisième personne. Tout au plus, il aurait raconté l’histoire d’une avalanche de malheurs et d’événements sordides. Mais que Duke raconte, avec ses mots de travers, change tout. Je me suis vite accordée au « parlement » de Duke, après l’avoir apprivoisé. Duke est naïf, imbibé d’innocence. Car nous, nous savons que ce qu’il vit et subit n’est pas bien; que certains gestes qu’il pose sont condamnables. Mais comment lui lancer une roche? Il agit à l’instinct, avec le peu qu’il connaît sur les hommes et la machination du monde. Des éclairs de lumière surplombent, par moment, toute cette noirceur poisseuse. Mais peut-on jamais sortir de l’enfer?

Personne ne tient au mal mais dans ma vie c’était une explication pour tout ce qui m’était arrivé et j’ai demandé que l’avocate m’en trouve une autre pour comprendre tous les faits de mon existence. J’ai dit les hommes sont des choses vides et des fois leur vie se remplit de bien des fois de mal et des fois c’est partagé et ça fait une lutte. 

J’ai rarement lu un premier roman d’une telle force. Ici, l’art de raconter est éblouissant. La même histoire, enrobée avec d’autres mots, pourraient s’oublier vite. Dimitri Rouchon-Borie a une voix propre et unique. Il bouscule la grammaire, malaxe la syntaxe, ne s’encombre pas des règles de la ponctuation. La poignée de chapitres alternent entre le présent de la confession et le passé.

Avec Rafael, derniers jours de Gregory McDonald, c’est le roman le plus dur, le plus éprouvant, qu’il m’ait été donné de lire. Le genre de roman qui donne envie de crier, de grafigner les murs, de désespérer encore plus du genre humain. Jérôme Garcin écrivait, dans L’Obs, que « Ce qui fait la force de ce premier roman exceptionnel, ce n’est pas l’horreur de ce qui est raconté, c’est l’innocence avec laquelle cette horreur est racontée. » C’est exactement ça. L’innocence et la naïveté de Duke diluent l’horreur racontée. Le démon de la colline aux loups marquera mon année.

Le démon de la colline aux loups, Dimitri Rouchon-Borie, Le Tripode, 2021, 237 p.

Rating: 5 out of 5.

24 comments

  1. Youhou ! ravie de te retrouver ton blog !! que d’aventures !! des hauts et des bas et plein de sensations fortes 🙂

    1. Que d’aventures, en effet. J’aurais préféré d’autres sortent d’aventures, du genre: une virée librairies avec un nuage de neige monstrueux à l’horizon sur l’autoroute. Ça aurait été plus excitant et rigolo!

  2. oh quelle surprise sinon ce livre ! je n’en avais pas entendu parler et c’est super de recommencer sur ton nouveau blog avec un coup de coeur. Trop contente pour toi !

  3. Ouf je respire car un tel livre peut heurter, déplaire et c’est un sacré challenge que de le recommander. Tout est dans le choix de l’écriture … Et là….. Tout est à hauteur du narrateur, de son innocence et de la bestialité de son environnement… Aucune chance pour lui … Il coche malheureusement toutes les cases du malheur. Bon retour parmi nous et j’ai hâte de découvrir tes dernières lectures… Je te laisse pour aller fureter sur ton blog

    1. Oui, tout est dans le choix de l’écriture. C’est tout de même impressionnant la manière dont l’humanité du narrateur parvient à ressortir. Aucune chance pour lui… C’est le moins qu’on puisse dire. Non mais quel roman! Un tout premier, en plus. Je serai au rendez-vous pour le prochain, en espérant que prochain il y aura, et pas dans cinq ans.

  4. Chouette, tellement contente que tu sois de nouveau là ! Merci Electra, si j’ai bien compris ! Quant à ce roman, je l’ai déjà noté, mais maintenant, je le surligne, je l’entoure, je le grave sur ma table de chevet…

    1. Je suis moi-même étonnée d’être ici. Je n’y croyais plus du tout. Oui, merci Electra!

      Si, comme moi, tu te frayes un chemin parmi les mots du narrateur, tu ne pourras plus le quitter. Son histoire est éprouvante, épouvantable, mais ses mots sont inoubliables.

  5. Et en plus il est top! Je suis soulagée pour toi, quand je pense au temps que ça prend et à tous les morceaux d’âme que l’on laisse dans un blog. Et j’avais l’ennui en plus. Excellente nouvelle!
    Sinon ton billet me donnerait presque le courage de lire ce livre…jusqu’à maintenant je n’ai pas réussi, peur qu’il soit trop dur.
    PS fausse manipulation de ma part, il se peut que tu reçoives ce commentaire à double, désolée.

    1. Je l’ai échappé belle, si tu savais! Me v’la de retour, toute légère et frétillante.
      Tu le dis bien: tout ce temps et, oui, tous les morceaux d’âme qu’on laisse… C’est précieux.
      Il en faut, du courage, pour pénétrer dans ce roman. Mais une fois qu’on y est, une fois que les mots du narrateur nous ont atteint, ils se frayent un chemin en nous et, là, plus possible de s’en détacher, encore moins de les oublier.

  6. Contente de te retrouver (et merci à Cendrillon) !
    La citation de Jérôme Garcin est très forte. Je garde ton coup de coeur à l’esprit pour plus tard, quand j’aurai l’esprit un peu plus léger.

    1. Le retour n’était pas gagné. Oui, merci à Cendrillon. Sans elle, je n’y serais pas!

      Il faut un esprit allégé pour ne pas sortir complètement déprimé de ce sublime roman. Tant de noirceur… Mais aussi beaucoup de lumière tapie sous cette noirceur. J’en garderai un souvenir mémorable. Pas prête de l’oublier!

  7. Ravie de te lire de nouveau et de voir que celui-ci t’a emballée. Un roman fort sans aucun doute. Je me note Rafael, derniers jours car je suis intriguée.

    1. Oui Il y avait longtemps que nous n’avions pas été au même diapason Quel roman extraordinaire, sans failles ni défauts. J’en garderai longtemps le souvenir.

  8. C’est intéressant ce rapprochement que tu fais avec « Rafael, derniers jours » qui est aussi pour moi un des romans qui m’aura le plus marqué (je pourrais presque dire traumatisé). J’ai beaucoup aimé « Le Démon… », excellent (premier) roman qui est d’ailleurs un des mes coups de cœur 2021, mais ça noirceur ne m’aura pas autant dérangé.

    1. Rafael, derniers jours est traumatisant, de par son sujet même. Tu as raison de le souligner. Le démon n’est pas traumatisant. Par contre, une même noirceur et une même dureté – du monde – surplombent ces deux romans. Si l’intrigue de Rafael, derniers jours m’avait bouleversée, c’est le style d’abord qui m’a tant plu avec Le démon. Une voix forte et singulière.

      Comme toi, Le démon est un des mes coups de cœur 2021. Mon billet paraît maintenant, mais j’ai terminé l’année dernière en sa compagnie.

      1. En venant lire ta réponse, je remarque l’énôôôrme faute de mon commentaire qui me brûle les yeux . Toutes mes confuses pour l’horrible « ça »

        1. Il m’arrive aussi de faire d’énôôôrmes fautes. Pire qu’une coquille. Il s’agit souvent d’une question de participe passé – ma bête noire! Tu es tout pardonné pour ton « ça » Il faut être plus indulgent envers soi-même

  9. J’ai déjà lu quelques avis très contrastés et je pense qu’il sera trop dur pour moi, celui-ci. Mais ton billet magnifique et ton enthousiasme colossal me feront en lire les premières pages pour voir, c’est sûr 🙂

    1. Je n’ai pas grand espoir qu’il te plaise… Tant par sa dureté (malgré l’humanité qui transcende les mots) que par son style. Mais sait-on jamais

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