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Les dragons · Jérôme Colin

Jérôme a réussi à devenir un adulte. Sa chérie désire un enfant. Lui n’en veut pas. Surtout pas une fille. Retour dans le passé pour comprendre les raisons de ce refus.

C’était en 2002. Jérôme, quinze ans, était en colère contre le monde entier, surtout contre ses parents. Après avoir été exclu de l’école et avoir menacé son père avec un couteau, il s’est échoué dans un centre de soins pour ados désenchantés, bousculés par la vie. Entre un atelier d’écriture et une rencontre avec le psy, il est tombé amoureux fou de Colette. Mais Colette, elle, ne veut qu’une chose : mourir. Son mal de vivre est inguérissable.

L’anxiété est une lucidité. En réalité, ce sont eux qui sont malades d’accepter de vivre. La vraie question dans ce monde n’est pas de savoir pourquoi je veux mourir. Mais pourquoi tout le monde veut vivre.

Le Jérôme ado arrivera-t-il à sauver Colette, à l’amener loin, très loin avec lui? Comment réagira le Jérôme adulte devant la grossesse de sa douce?

Le trop court roman de Jérôme Colin est à mettre entre les mains de tous les parents d’ados, tant les épanouis que les fragilisés. Il ouvre une brèche sur la façon dont le grand méchant monde des adultes est perçu. Le regard de Jérôme sur ses parents est acéré, impitoyable.

Ils se contentaient du quotidien et voulaient que j’accepte, moi aussi, les règles de leur petit monde. Que je suive à la lettre le grand récit qui avait été tracé pour moi : école, discipline, études, travail, argent, maison, chien, femme, enfants. Construction sociale dont ils pensaient qu’elle était la seule route possible vers une vie satisfaisante. Ils tentaient de me convaincre que le bonheur dépendait exclusivement de la réussite de chacune de ces épreuves. Un échec, un seul, tout s’écroulait. Et ces imbéciles ne parvenaient pas à comprendre que ça mettait sur mes épaules une pression que je n’étais pas encore prêt à supporter. Il fallait se fondre dans la masse. N’être personne pour ressembler à tout le monde. Leur objectif était de me dresser à baisser la tête et entrer dans le rang. Pour m’empêcher de remettre en cause leur petit monde normal et qu’ils puissent paisiblement continuer à y vivre, sans réfléchir, leur petite vie de merde.

Par-delà le mal-être et les émotions à fleur de peau des adolescents, il est aussi question du pouvoir salvateur de la littérature. Colette aimait lire. Jérôme non. Il s’est mis à lire pour se rapprocher d’elle. La lecture du roman de Steinbeck, Des souris et des hommes, a changé sa vie. Depuis, la lecture fait partie intégrante de sa vie.

J’y ai trouvé des amis. Dans ces livres et tous ceux qui ont suivi, j’ai appris tout ce que l’école avait omis de m’enseigner.

Smensk, un des éducateurs du centre, résume de vibrante façon à quel point notre monde et la façon dont plusieurs le font tourner n’a rien d’essentiel à offrir à nos jeunes.

Ces gamins, ils ont besoin d’expérience affective sécurisante. Et le monde, tel qu’il va, est incapable de le leur offrir. Le capitalisme nous mène droit dans le mur parce qu’il n’a finalement rien à proposer aux jeunes. Aucun idéal. Cette merde de système glorifie la performance. Comment être le meilleur? Comment être le plus riche? Comment être le plus rapide? Ils proposent aux enfants des idéaux de néant. Qui ne mènent à rien.

Le roman est court. Même pas 200 pages. La portée du propos est très forte et résonne encore. Je termine sur cette phrase de Philip Roth, phrase qui chapeaute les trois chapitres du roman :

Penche-toi sur ton passé. Répare ce que tu peux réparer. Et tâche de profiter de ce qui te reste.

Les dragons, Jérôme Colin, Allary, 2023, 192 p.

Rating: 3 out of 5.

© unsplash | Francisco Gonzalez

18 comments

  1. Youpi ! Je suis la première à te lire. Tu m’avais parlé de ce roman et ton billet me donne très envie de le lire à mon tour, toi et moi étions toutes deux en compagnie d’adolescents, mal dans leur peau dis-donc…
    Belle soirée !

    1. Disons qu’entre le moment où je t’ai parlé de ce roman et l’après, moment où je l’ai décanté, il y a eu une belle évolution. Il m’a marqué plus que je ne le pensais. Il fait oeuvre utile, ce roman.

  2. Et bien voilà, tu commences fort… J’ai envie de lire ce roman ! Bon, je ne sais pas si je vais continuer à te suivre !

  3. Hello.
    L’adolescence de ma fille a été une des pire épreuve de ma vie et parfois je me demande si elle est terminée alors peut-être que si l’occasion se présente je me pencherai sur ce roman qui m’a l’air très éclairant entre deux bouffées de chaleur (oui tout pareil depuis un an ) à très vite.

    1. Sortir de la crise d’adolescence de son ado et se retrouver avec des bouffées de chaleur. Quelle vie, quand même. J’attends avec appréhension mes première bouffées, qui ne devraient par tarder! Ce roman est très éclairant sur le mal de vivre de ces ados qui refusent de marcher droit ou n’en voit pas le sens. Certaines réflexions rejoignent les miennes et te rejoindront assurément.

    1. Ce n’est pas une autobiographie affichée, mais on peut se douter que plusieurs passages sont fortement inspirés de la vie même de l’auteur. Les passages sur les répercussions de la littérature dans la vie même sont magnifiques.

    1. Trois grosses étoiles, par contre. Je deviens plus exigeante, voire capricieuse côté lectures. Les cinq étoiles seront rares et les quatre étoiles exprimeront un coups de coeur. Une étoile: j’aurais pu m’en passer. Deux étoiles: contente de l’avoir lu, mais je l’oublierai vite. Trois étoiles: lecture que je ne suis pas prête d’oublier.
      Dans le cas présent, je me détache de mes exigences et goûts personnels pour reconnaître à quel point ce roman fait oeuvre utile et mérite d’être lu par le plus grand nombre. Par ailleurs, je n’ai lu que des retours positifs sur les blogues et IG). C’est plutôt révélateur…

  4. Vraiment ravie de te lire à nouveau ! Même si c’est pour un titre que je ne note pas … Le malaise ado, c’est vraiment pas mon truc !

    1. Ravie aussi de te lire ici. Quant au malaise ado, y’a aucun mal à ce que ça ne soit pas ton truc. Chacun ses affinités et c’est très bien ainsi.

  5. Je ne suis pas trop histoires d’ado habituellement, mais tout dépend du traitement du sujet bien sûr. Il semble t’avoir convaincue en tout cas ici.

    1. Ce n’est pas un coup de coeur, surtout pour la forme (trop conventionnelle à mon goût). Je reconnais toutefois que le roman éclairera plusieurs parents dépassés et ados en déroute. C’en en cela que je trouve qu’il fait oeuvre utile. C’est déjà beaucoup.

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