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L’été des charognes · Simon Johannin

La Fourrière, un trou perdu au milieu de nulle part. Le jeune narrateur passe son été avec son copain Jonas. Un été comme les autres, à aider le père à faire la besogne: traire les vaches, ramasser leurs bouses, tuer le cochon, éventrer les agneaux. Une fois la besogne terminée, place au désoeuvrement, mais aussi à la liberté. Celle d’aller jouer autour des carcasses d’animaux, de compléter la collection d’os d’animaux (ou d’humains), de lapider un chien. Celle d’aller regarder la télé chez la vieille Didi. De faire un détour à la caravane de Marcel, histoire d’avoir des bonbons et des madeleines et de recueillir quelques blagues de cul.

Les divertissements sont rares, les raisons de fêter aussi. Il y a bien la fête des châtaignes ou l’abattage du cochon, mieux, la sortie de prison de Tonton Mo. Les gueux de passage, en quête de travail, amènent un autre air. Les beuveries se terminent sur les genoux. Les enfants conduisent le vieux bazou pour ramener les parents trop saouls à la maison. L’été fini, il y a l’école. «Ça ressemblait plus à un chenil qu’autre chose là où on allait s’éduquer, un chenil rempli de merdeux et de petits bâtards.» La différence de ces ruraux apparaît. Mais ils s’en foutent un peu.  

Le temps que je me fasse au pli on m’avait déjà mis plusieurs fois la tête dans les chiottes, fait des poteaux roses et vidé le sac par la fenêtre du bus. J’avais pas prévu le coup moi, je savais pas, j’avais pas acheté les Nike à Zidane, de toute façon j’étais pas le genre à acheter ce genre de merde ils pouvaient bien aller se faire foutre. […] D’un côté les cent vingt qui avaient les pompes Zidane et de l’autre côté le reste, nous quoi, les bouseux, on était un peu moins de vingt.

Le gamin, devenu ado, part pour ailleurs. La ville, l’alcool, les filles, les raves. Une autre sorte de sauvagerie. Pas forcément plus douce…

Ce roman, je l’ai lu cul-sec. Ce n’est pas un roman que je conseillerai à tout le monde. Cœurs sensibles ou malaucoeureux s’abstenir. Le sang gicle, ça pue, c’est sale. Il y a des mouches partout, des asticots dans le fromage, des bouses de vaches, des carcasses d’animaux. Un enfer déconnecté du monde. Leur monde à eux, ce sont les bêtes et la terre. Les pères lèvent la main, surtout lorsqu’ils ont bu. Les femmes sont pour ainsi dire invisibles. Les enfants livrés à eux-mêmes. Le décor est rude et sauvage, les rapports humains rugueux, silencieux. Pas trop le temps de s’aimer et de s’épancher, il y a trop à faire. De toute façon, saurait-on s’y prendre?  

Un roman sombre, noir. Une description implacable d’un monde rural isolé. Aucune fatalité ici. La misère n’est pas condamnée ou critiquée. Pas regardée de haut. Elle est juste constatée et ça fesse d’autant plus. Simon Johannin se démarque par sa tonalité poétique et crue, par sa façon de parler d’une enfance rurale, du passage de l’enfance à l’adolescence. Ses descriptions, d’un réalisme saisissant, fascinent et répugnent à la fois. Il s’empare des mots de façon unique. La langue est ciselée, flamboyante et fiévreuse. J’ai dévoré ce roman, fascinée par sa dureté, son réalisme implacable. J’ai surtout été ensorcelé par les mots qui défilent. Un premier roman magistral. Pour lecteurs avertis!

L’été des charognes, Simon Johannin, Allia, 2017, 114 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash | Glenn Carstens Peters

31 comments

  1. je passe mon tour, tu t'en doutais ! Je reste dubitative mais je sais qu'il y a un lectorat, toi la première.

  2. Ça a l'air d'être quelque chose… Mais ce n'est certainement pas pour moi, je me reconnais dans ces \»malaucoeureux\» malheureusement.

  3. Oui, je m'en doutais bien! Je suis bien arrivée à te faire lire un roman post-apocalyptique (Station Eleven), mais là, j'avoue que j'aurais fort à faire pour te convaincre, hein!

  4. Il n'est pas pour tout le monde, je le précise bien. La dureté et la violence, quoique justifiées de par l'univers rural dans lequel ce roman baigne, est à souvent dur avaler. Mais quel style…

  5. Qu'est-ce qui vous plaît tant dans toute cette horreur ? Pourquoi aimez-vous à ce point cette atmosphère glauque ? Je ne juge pas, je souhaiterais simplement comprendre. Merci. Pierre

  6. Ce roman me permet de «côtoyer» une réalité qui m'est totalement inconnue. Étant une citadine, la réalité du monde rural ne m'est pas familière. Je lis d'abord pour m'ouvrir sur le monde. Dans le cas de ce roman, l'«horreur» n'est pas gratuite et est tout à fait réaliste. Je ne dirais pas, par contre, que c'est glauque. Pour moi, ce serait porter un jugement de valeur sur le monde rural. Et je ne suis pas forte sur les jugements. Par ailleurs, le style de l'auteur pèse pour beaucoup dans mon appréciation de son roman. Ça vous aide à mieux comprendre?

  7. Oui, je ne te le cache pas, c'est dur. Mais c'est aussi ça, la vie! Faut dire que j'ai la couenne dure! Ici, le style m'a complètement envoûtée.

  8. J'espère qu'il te plaira autant qu'il m'a plu. Un auteur (très jeune – début vingtaine) à suivre de près, en tout cas.

  9. Un extraordinaire premier roman. Tu fais bien de rappeler que l'horreur n'y est pas gratuite. L'auteur ne porte à aucun moment un jugement de valeur sur l'environnement de son enfance, même devenu adulte. Et on est d'accord, au-delà du fond il y a l'écriture qui d'une puissance assez stupéfiante.

  10. Mmouais, le noir ne me dérange pas, mais là, j'hésite parce que je n'aime pas trop quand c'est pour de vrai …

  11. Le style te plaira (ou non). Une lecture éprouvante pour ce premier roman très réussi. De fait, la couverture est très belle…

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