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Sale boulot · Larry Brown

Ça fait une vingtaine d’années que la guerre du Vietnam est terminée. Walter James s’est échoué dans un lit d’hôpital, sans trop savoir comment il s’est retrouvé là. Défiguré par des éclats d’obus, il a vraiment une sale gueule. Et il tombe souvent dans les pommes. Mais il y a pire que lui. Tellement pire. À côté de Walter se trouve Braiden Chaney. Lui, ça fait vingt-deux ans qu’il est cloué au lit. «Il avait pas de bras, pas de jambes, rien que des moignons. Comme dans Johnny s’en va-t-en guerre.» Il a tout perdu dans les tranchées. Tout ce qu’il a, c’est l’évasion que lui offre son imagination.

Durant cette longue journée, les deux hommes se jaugent. Une glacière remplie de bières délie les langues. À travers la fumée de cigarettes, les cœurs s’ouvrent et les voix s’élèvent dans la pièce. Le passé refait surface: l’enfance dans les champs de coton du Mississippi, les bagarres dans la cour d’école, l’amour pour une fille mordue par un chien, le champ de bataille. Si les jours de Walter à l’hôpital sont comptés, ce n’est pas le cas pour Braiden. À moins que…

Sale boulot est le premier roman de Larry Brown. Il dépeint une condition humaine sapée par la guerre. Par la voix de ses deux éclopés, Larry Brown lève le voile sur les ravages de la guerre qui transforme les hommes en épaves, sur le suicide assisté, sur la solitude, la détresse et l’abandon. Sur la compassion et la tendresse, aussi. Il est un fin observateur de l’âme humaine, de ses failles et de ses misères.

La vitalité des voix, le verbe raboteux et balafré, l’humour noir s’élèvent au-dessus des murs de la chambres d’hôpital. Les monologues et les dialogues alternent, les flashbacks apportent un poids au présent. Chaque personnage est plus vrai que nature, bien étoffé. Walter et Braiden, bien sûr, mais aussi les personnages secondaires qui gravitent autour d’eux. Diva, l’infirmière au grand coeur, m’a bouleversée. Il y a de ces blessures qui ne cicatriseront jamais… Un huis clos éprouvant, parfaitement huilé, empreint d’une humanité qui prend aux tripes. Grandiose…

Larry Brown est mort (beaucoup trop jeune) d’une crise cardiaque en 2004, à l’âge de cinquante-trois ans. Heureusement, il a laissé derrière lui une oeuvre substantielle que Gallmeister a eu l’excellente idée d’ajouter à son catalogue depuis que les versions publiées chez Gallimard était devenues difficiles à trouver. Histoire(s) à suivre…

Sale boulot, Larry Brown, trad. Francis Kerline, Gallmeister, «Totem», 2018 [1989 pour l’édition originale], 208 p.

Rating: 5 out of 5.

© unsplash | Alexander Grey

18 comments

  1. Oh, la gourmande! Mais là, je ferais la même chose. Je n'en ai pas terminé avec lui. Et j'espère que tu auras autant de plaisir que moi à le découvrir.

  2. J'ai \ »Fay\ » dans ma LAL ! et là, pour le coup, je me demande, à te lire, si j'ai bien fait de remettre celui-là en rayon au lieu de l'acheter ! (visiblement non !!! mais le mec manchot etc, ça me faisait assez peu rêver..)

  3. Tu en parles bien… :-)Beaucoup aimé. Ces deux hommes sont bouleversants. Il paraît tellement réel ce roman que s'en est glaçant !!!

  4. \ »Fay\ » m'attend aussi. Mais étant donné son épaisseur, je me le réserve pour l'été.Pour \ »Sale boulot\ », je n'ai qu'un mot: fonce. Le mec manchot ne fait certes pas fantasmer, mais son histoire est incontournable. C'est vraiment, mais alors vraiment à lire!

  5. Merci!Le côté réaliste donne, en effet, froid dans le dos. Cette humanité fend le coeur. J'en suis encore toute bouleversée.

  6. Je ne sais plus où j'ai lu une autre critique de ce livre.. chez Electra? Vu ce que tu en dis, il passera par moi!

  7. Contente que tu aies aimé ! Moi aussi, c'est sûr, je lirai tous ses écrits ! Fay y passera bientôt et je fouinerai en librairie pour dénicher les autres

  8. \ »Fay\ »… Si ce n'était du mois nouvelles, je le commencerais de ce pas! Ce \ »Sale boulot\ » m'a tellement fait d'effet. Une lecture marquante, hein?!

  9. Ce livre a également été un gros coup de coeur pour moi ! Quelle écriture, quelle force ! <3

  10. Une force percutante, qui ne laisse pas indemne!Tu poursuivras ta découverte de Larry Brown? Pour ma part, je ne suis pas prête à le laisser! Je n'ai lu que deux romans, mais je compte bien tous les lire.

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