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Six philosophes dans mon salon · Ilaria Gaspari

Dans mon jeune temps, j’ai longuement marché dans les jardins des philosophes. Si certaines écoles de pensées et certains philosophes m’ont laissé indifférentes, voire ignare (j’ai abandonné le programme de philo à cause de Descartes!), j’ai adoré m’éprouver en compagnie de Nietsche, Shopenhaueur, Cioran, Épicure. Mais ce sont surtout les Stoïciens qui m’ont fait de l’effet. Plus que ça: la lecture de Sénèque, de Marc Aurèle et d’Épictète a bouleversé ma vie, l’a allégée et m’a prémuni des coups de vent émotionnels. J’aime la philosophie pratique – celle qui se pratique, qui apprend à mieux vivre. Je fuis celle qui malaxe les abstractions intellectuelles et coupe les cheveux en quatre.

J’ai écouté, sur France Inter, L’heure philo consacré au bonheur selon les philosophes antiques. J’y ai entendu Ilaria Gaspari. En apprenant qu’elle avait écrit un essai, je me suis empressée de mettre la main dessus. Ilaria Gaspari s’est donnée tout un défi: celui d’appliquer dans son quotidien, pendant six semaines, les préceptes des philosophes antiques. À chaque semaine, son école philosophique (pythagoricienne, éléatique, sceptique, stoïcienne, épicurienne, cynique). J’ai adoré l’idée et trouvé son approche inspirante. J’ai pris un délectable plaisir à suivre le parcours de cette femme, fraîchement séparée, prise dans le tourbillon d’un déménagement. L’expérience existentielle est intense, riche et jubilatoire.

Ce court essai est à la fois brillant, hyper accessible et fort instructif. Il démontre comment la philosophie peut s’incarner de façon concrète et pratique dans le quotidien. Pendant ces six semaines, en plus de lire, Ilaria Gaspari a traversé une séparation et un déménagement, avec tous les chamboulements inhérents. Elle le dit elle-même, grâce aux philosophes anciens, elle a un peu appris à vivre. Leur fréquentation lui a permis de se sortir la tête de l’eau un peu plus aisément.

Pour te donner une idée du ton, je te partage un extrait au sujet des paradoxes de Zénon.

Mais ce paradoxe m’enseigne quelque chose, dans cette maison presque vide, pendant ces journées où j’ai l’impression d’avoir échoué et où je ressasse la cuisante façon dont mon temps a fait faillite, ainsi que les espoirs que j’ai vu grandir, la vie que je pensais avoir construite, petit à petit, pour que le futur puisse être lumineux et facile et resplendir de cette extraordinaire santé que tous les paresseux imaginent quand ils rêvent à leur inexistant avenir. Les paradoxes de Zénon m’enseignent qu’il n’est pas toujours juste d’objectiver le temps par une flèche, de le croire avançant toujours dans la même direction, droit vers un objectif. Et que nous nous privons de celui-ci, de l’infime perfection de chacun des instants qui le composent, quand nous le projetons vers l’avant, quand nous avons l’impression de le voir se dérober sous nos pas à toute vitesse; quand nous pensons à ce vers quoi pointe la flèche et non à ce qui la soutient en attendant, à chacun des endroits où elle se trouve. […] Parce que cette habitude de capitaliser le temps m’a rendue avare, insensible à la perfection des instants. Parce que j’ai considéré comme des échecs les moments d’immobilité, de silence, les moments inutiles; ils m’ont semblé gâchés alors qu’ils étaient sans doute, en fait, les plus vrais.

Un livre salvateur, à mille lieues des livres de croissance personnel, souvent bêtes et opportunistes. Je suis reconnaissante envers certains livres, du fait qu’il existe et de ce qu’ils m’amènent à vivre. Celui-ci en fait partie. Sitôt lu, j’ai déjà envie de le relire!

Six philosophes dans mon salon, Ilaria Gaspari, trad. Romane Lafore, « Champs », Flammarion, 2021, 177 p.

12 comments

  1. oh ! il me tente bien, si je le trouve chez toi en venant te voir – tu le gardes ? rafraîchissant et comme toi, sans être pompeux ni couper les cheveux en quatre 🙂 moi j’aimais bien Descartes LOL

  2. Sur ma prochaine commande illico!! Ton billet tombe pile poil, exactement ce que j’avais besoin de lire aujourd’hui.
    Je n’ai lu aucun philosophe, sinon quelques bribes, n’y connais strictement rien mais je sais que le fait de découvrir en pratique pourrait énormément m’apporter en ce moment.
    PS ton blog : que je l’aime comme ça ! Et le choix de cette photo

    1. On sort de cette lecture régénéré, grandi. Je te recommande ce livre sans réserve. Il peut aider à traverser les jours ombragés…
      Quant à mon blogue? Merci pour tes bons mots

  3. Je me souviens que le lecture de Sénèque m’avait emplie de joie et d’enthousiasme ayant le sentiment qu’il écrivait pour moi… La philo c’est bien mais quand elle est accessible et qu’elle vous parle, qu’elle est un miroir de nos vies. Cette semaine j’ai mis sur ma table de chevet Marc Aurèle, Nietzsche et Le banquet de Platon… Pour pêcher chaque soir un peu de réflexions pour m’endormir et parfois trouver réponses et appaisement… Merci pour ce retour sur un ouvrage qui met à la portée de tous la philo et en plus un écho dans la vie moderne…

    1. Je suis plus que d’accord avec toi: la philo doit être accessible et «pratique», des leçons de vie qui aident à cheminer.
      Tu as une belle table de chevet, toi! Je vois que les grands philosophes ont une place de choix chez toi. Tu aborderas, sur ton blogue, le fruit de ta pêche?

  4. Alors, la philo et moi, ça fait 12 ! Peut-être parce que personne ne m’a prise par la main pour m’emmener sur cette voie… Souvent, je me sens stupide à lire les philosophes… et en même temps je n’aime pas du tout les livres de développement personnel que je trouve trop gnangnans… alors un livre qui serait une passerelle vers des textes de qualité mais abordables pour une femme pas très intelligente comme moi… pourquoi pas ?

    1. Nous avons ici un exemple remarquable, voire exceptionnel, d’ouvrage de philo accessible, passionnant et enrichissant.
      Tu peux écouter L’heure philo (lien dans mon billet) et tu verras à quel point tu es intelligente, car tu comprendras tout!
      Je me suis procurée un autre ouvrage sur les stoïciens et j’ai vite renoncé. Je n’y comprenais rien et l’envie de persévérer s’est évaporée. Après la lecture de Ilaria Gaspari, je m’attends à du concret et à des idées accessibles! Plutôt que d’investiguer d’avantage, j’irai à la directement à la source et/ou relierai Gaspari.

  5. Oh, ça alors ! Pile le genre de livre que j’ai envie de lire en ce moment ! Et ton billet me donne formidablement envie de m’y plonger ! Il me le faut. Je viens de le commander chez mon libraire. Merci pour la découverte et le partage 🙂

    1. Je suis ravie! J’ai déjà fait deux adeptes qui sont en train de le lire et, jusqu’à maintenant, elle confirme: l’ouvrage est passionnant et surtout, accessible. Échanges à l’horizon

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