J’ai lu Le bruit et la fureur au début de ma vingtaine. Je me souviens de m’être dit, juste après, qu’il me fallait à tout prix lire l’œuvre complète de Faulkner, parce que le roman que je venais de lire était grandiose, époustouflant. Eh bien, mieux vaut tard que jamais: une vingtaine d’années plus tard, je poursuis ma découverte de l’œuvre du grand Faulkner avec Tandis que j’agonise.
L’intrigue tient en peu de mots: Addie Bundren, la matriarche, se meurt. Avant de pousser son dernier souffle, elle a demandé à Cash, son aîné, de lui fabriquer un cercueil. Elle a aussi fait promettre à Anse, son mari, d’être enterrée à Jefferson, auprès des siens. Addie morte, la famille Bundren se met en route pour la porter en terre. Ça, c’est pour les grandes lignes. Évidemment, l’intrigue est beaucoup plus enrobée. Ça se passe dans l’Amérique des années 1930, quelque part au Mississippi, dans un comté fictif au nom imprononçable: Yoknapatawpha.
Tandis que j’agonise… L’agonisante du titre, c’est Addie. Son agonie ouvre le roman. Une fois morte, elle réapparaît au milieu du roman dans un monologue hypnotisant. Addie a un œil sur tout, même sur la fabrication de son cercueil. Elle n’a pas grande estime pour son mari, ni pour ses enfants. En somme, elle n’aime qu’un de ses fils: Jewel. On comprendra pourquoi…
Une fois le cercueil fermé, les mules attelées, le cortège funèbre se met en branle. Et le trouble commence… Chaque membre de la famille Brundel prend la parole et se révèle au fil des chapitres.
· Anse, le paternel, le taiseux paresseux. Édenté depuis ses quatorze ans, il ne rêve que d’une chose: se procurer un dentier dès qu’il arrivera en ville afin de manger enfin à son goût.
· Cash, l’aîné charpentier. Lui, il ne pense qu’à ses outils. Victime d’un accident en cours de route, il passera son temps à scander que tout va bien malgré sa jambe gangrenée.
· Darl est considéré comme le simplet de la famille. Et pourtant… c’est le seul qui parvient à éprouver des sentiments. Après avoir mis le feu à une grange, il prendra le chemin de l’asile.
· Jewel, le mystérieux… Lui, il n’a d’yeux que pour son cheval.
· Dewey Dell, la seule fille du lot, s’est retrouvée en cloque pour une histoire d’un soir. Personne n’est au courant, sauf un de ses frères. Avec les 10$ en poche laissés par Lafe, son amant de passage, elle cherche à tout prix le moyen de se faire avorter.
· Vardaman, c’est le petit dernier. Il pêchait lorsque sa mère est morte. Il a pris un beau gros poisson. Ce poisson le hantera tout au long du roman, au point que dans son esprit, le poisson et sa mère se confondront.
Aux voix de la famille Bundren viennent s’en greffer d’autres: celles des voisins Tull (Cora et son mari Vernon), celle de Peabody, le docteur, et celle du prêtre.
La route qui mène à Jackson est longue et semée d’embûches, sans compter le corps de la défunte qui se décompose, la chaleur et l’odeur pestilentielle qui s’intensifie. Les busards tournoient dans le ciel, attirés par les effluves. La ville, au loin, sera-t-elle le lieu de leur délivrance-rédemption? Ça reste à voir…
Pourquoi donc ce roman est-il si extraordinaire? Si le roman choral est aujourd’hui monnaie courante, exploité à toutes les sauces, ce n’était pas le cas en 1930, année de publication de Tandis que j’agonise. Le concert de voix mis bout à bout est magnifiquement orchestré. Chaque voix résonne différemment, avec son propre vocabulaire et ses tics de langage. Les chapitres défilent, les voix alternent. Les monologues intérieurs vibrent d’échos. Cela pourrait avoir des airs de cacophonie, et pourtant, le choeur sonne magnifiquement juste.
Tandis que j’agonise est-il un roman déprimant? Que non. Loin de là, même. L’humour est noir, mais omniprésent. Ici, la farce, le grotesque côtoient sans cesse la tragédie. Plusieurs images me resteront, de celles qui marqueront ma mémoire au fer rouge: Addie, couchée à l’envers dans son cercueil afin que sa robe ne soit pas froissée; les coups de marteau de Cash; le vol des busards; un plâtre en ciment. Le style de Faulkner, majestueusement traduit, est fiévreux, aventureux et corrosif, témoignant d’une rigoureuse maîtrise. La façon dont il tire les ficelles de son intrigue me laisse bouche bée. Un chef-d’œuvre, rien de moins. Un de ceux qui résonneront encore très longtemps en moi.
Tandis que j’agonise, William Faulkner, trad. Maurice-Edgar Coindreau, Folio, 1973, 256 p.
Ah! Me bruit et la fureur, ma découverte de Faulkner, j'ai adoré. Et ton billet me pousse à retomber dans la marmite…(oui le fameux comté fictif revient )
et dire que je n'ai jamais lu Faulkner ! tu viens de me persuader de m'y mettre !!
Je n'ai pas encore sauté le pas avec Faulkner. Je sais, je devrais le faire…
Lu il y a des années (c'était autour de 1996-1997!) et je me rappelle encore des noms des personnages! À te lire c'est revenu comme si je l'avais lu hier. Il faudrait que je le relise.
Une oeuvre marquante qui marque au fer rouge. Je ne suis pas prête de l'oublier.Tu as une sacrée mémoire, surtout avec tous les livres que tu as lus depuis. Qu'est-ce qui t'avais le plus plu?
C'est le genre de pas que tu ne peux pas regretter de faire.Il faut lire au moins une fois un Faulkner dans sa vie! Je ne dirais pas nécessairement ça pour Proust ou Stendhal, par exemple!
Il te faut tenter l'expérience! Non déception assurée…
Nous avons fait le même chemin, en découvrant Faulkner avec \»Le bruit et la fureur\». Nous avons adoré!Par conséquent, tu ne peux qu'adorer aussi \»Tandis que j'agonise\». Je t'en passe un papier!
Ah Faulkner!… Toutes mes amies m'en rebattent les oreilles. Il va vraiment falloir que je m'y mette…
Cet auteur me fait tellement, mais tellement peur! C'est fou. Mais il faudrait vraiment que je tente le coup.
Je me rappelle à l'époque que la construction du livre m'avait beaucoup impressionnée. C'était vraiment différent de mes lectures d'avant. Et c'est le second livre américain que j'avais étudié (le premier étant Des souris et des hommes de Steinbeck dont je garde un souvenir très très vif aussi, le seul livre qui m'a fait pleurer autant). À partir de là, la littérature américaine est devenue MA littérature. Plus tard, après ces deux piliers de la littérature, j'ai découvert Erksine Caldwell. On le compare souvent à Steinbeck, mais je le trouve moins \»marquant\». J'en ai lu quelques uns et j'avais bien aimé. Mais je m'égare là… On parlait de Faulkner. Je dois le relire. Vraiment.
Je pensais avoir commenté…Je n'ai jamais lu Faulkner… Celui-ci serait parfait pour commencer crois-tu ?J'aimerais lire plus de classiques français et américains! Et j'en ai chez moi, faut juste que je les mette en évidence.
Je l'ai lu il y a très longtemps, au temps de ma grande passion pour l'auteur, et je vais peut-être le relire pour mon défi \»50 états en 50 romans.\»
idem, jamais lu Faulkner mais très envie! un autre challenge à relever pour cette année!
Je connais davantage Steinbeck que Faulkner mais si tu considères ce roman comme un chef d'oeuvre, je ne peux que me promettre de lire un jour.
C'est vrai que ce type de construction est marquant. Je me dois maintenant de relire \»Des souris et des hommes\». Il y a trop trop longtemps.Erksine Caldwell, jamais lu. Je devrais?
Tu as de bonnes fréquentations, dis donc!
Comparativement à un Proust ou à un Joyce, j'te jure qu'il n'y a pas lieu d'avoir peur!
Oui, il serait parfait. Il est d'ailleurs réputé pour être l'un de ses romans les plus accessibles.Moi aussi, j'aimerais lire plus de classiques. Surtout que cette rentrée ne m'emballe pas plus qu'il faut jusqu'à maintenant…
C'est une bonne idée, de le relire pour le caser dans le défi \»50 États en 50 romans\».Si je n'avais pas d'autres lectures prioritaires, je dévorerais le reste de son oeuvre drette-là!
Un de plus, ouais! Un de ceux qui ne peut te décevoir, foi de Madame Couette!
OUI, fais-toi cette promesse. C'est un géant, cet homme!
J'ai lu rapidement ton billet, j'ai commencé ce livre il y a deux ans, lu une vingtaine de pages (ou plus?) et reposé – pourquoi ? je ne sais pas. J'ai aussi Sanctuaire dans ma PàL et encore un autre titre (en anglais). Bref, il va falloir que je m'y attaque !
Tu ne devais pas être dans le bon mood pour apprécier. Ou encore, le chant des nouveautés t'ensorcelait?!Bref, c'est à lire!
Pour Erskine Caldwell, je ne sais pas. Si tu as envie de découvrir un peu un autre auteur autour de Steinbeck et Faulkner par exemple, peut-être. J'en ai lu plusieurs à une période, mais aujourd'hui ça me tenterait moins. À toi de voir! 😉
Pour ton amour des mots je n'avais aucun doute que tu aimerais. Un sacré auteur que Faulkner.
Je vais tenter le coup avec \»La route au tabac\», en espérant le trouver en bouquinerie. On verra bien!
Tu l'as bien dit! Quel magicien des mots… Tu l'as beaucoup lu?
Beaucoup non car il a quand même une sacrée bibliographie. Mais j'aimerais tout lire de lui . Pour l'heure je vise surtout Sanctuaire, Requiem pour une nonne, Absalon-Absalon, L'Intrus.
Ah oui, Faulkner, c'est un incontournable ! J'ai \»Le Bruit et la fureur\» dans ma PAL depuis un bail mais je ne l'ai pas encore touché. Pourtant c'est clair que cet auteur a à priori tout pour me plaire mais presque trop en fait. J'ai peur qu'ensuite tout le reste me paraisse terne, vue l'aura qu'à sa bibliographie…
Le programme est vaste, en effet. Allons-y avec parcimonie! J'espère que tu te portes mieux et que tu arrives à lire (au moins un peu!)…
Tiens, v'la de la belle visite!Je comprends qu'il fasse peur, ce cher Faulkner. \»Le Bruit et la fureur\» n'est pas son roman le plus accessible. Mais si tu accroches, je crains, de fait, que le reste te semble tiède. C'est ce que ça m'a fait avec \»Tandis que j'agonise\». Dur de passer à autre chose après… Sacré auteur