
À soixante-dix ans, Einar laisse ses jours s’écouler dans son ranch délabré d’Ishawooa, Wyoming. Depuis la mort de sa femme, puis celle de son fils Griffin, il se traîne les pieds, accomplissant les seuls rituels qu’il lui reste: traire sa vieille vache deux fois par jour, donner du lait aux chats et faire une piqure de morphine à son vieil ami Mitch.
Mitch vit à deux pas de chez Einar. En piteux état après s’être battu avec un ours, il passe son temps à sculpter des andouillers de cerf. Entre Mitch et Einar, c’est une amitié vieille de cinquante et un ans. Leurs chamailleries bon enfant, leur affection pudique, la bienveillance de l’un pour l’autre les lient depuis qu’ils se sont rencontrés pendant la guerre en Corée.
Plus loin, dans une caravane de l’Iowa, vit Griff, une gamine de neuf ans et demi qui prépare sa valise chaque matin, en espérant que sa mère se décide à laisser son petit ami Roy.
Avant Roy dans cette caravane de l’Iowa, il y a eu Hank dans la caravane de Floride, et avant Hank, Johnny dans sa petite maison qui empestait le pipi de chat, et avant Johnny il y avait Bobby. Elle ne se souvient pas très bien de Bobby, mais il y en a eu quatre en tout. Chaque être humain possède une mère qui a un don particulier. La sienne a le don de se trouver le même homme, où qu’il soit.
Jean a promis à sa gamine que la prochaine fois qu’elle aurait un bleu au visage, elles lèveraient l’ancre. Aujourd’hui, Griff n’a pas fait sa valise pour rien. Jean et Griff sont prêtes à changer de vie. Elles bourrent l’auto pendant l’absence de Roy. Direction: la Californie. Mais un incident vient changer les plans.
Lorsque Jean se pointe chez Einar, il l’attend avec une brique et un fanal. Parce que la responsable de la mort de son fils Griffin, c’est elle. Mais Griff, la petite-fille dont il ignorait l’existence, change la donne. Einar et Jean pilent sur leur orgueil et mettent leur rancune de côté. Einar donne un mois à Jean pour se replacer les pieds. Auprès d’Einar et de Mitch, Griff trouve la sécurité et le calme dont elle a toujours rêvé. Pendant que Jean sert du café dans le resto du coin, le trio ne met pas de temps à s’apprivoiser. Le retour de Roy dans les parages risque de compromettre ce nouvel équilibre.
Une vie inachevée est le premier roman de Mark Spragg que je lis. Dès la première phrase, j’étais conquise.
Les bûches d’aubier craquent et se rompent dans le petit ventre du poêle, la chaleur enfle entre les planches en pin des murs et du toit usées par les intempéries, toute la cabane semble gémir.
Parmi les personnages de romans que je préfère, les vieux bourrus au cœur tendre attachés à leur fidèle chien occupent une place de choix. S’ils vivaient dans le même patelin, Einar et Mitch pourraient être les voisins des frères McPherson (Le Chant des plaines et Les Gens de Holt County de Kent Haruf, inoubliables). Je me suis attachée à ces deux cowboys grisonnants aussi fermement que je l’ai fait pour les frères McPherson!
Cette histoire a un goût de déjà-lu? Et puis après? Quand l’histoire est bonne, pourquoi se priver de la revisiter dans de nouveaux décors? Autant les stéréotypes ont tendance à m’agacer (le vieux bourru, la femme battue, la petite fille allumée), autant ici ils étaient les bienvenus. J’ai aimé que Jean, la dépendante affective battue, ne se la joue pas en victime. J’ai adoré que Mitch, le vieux Noir solitaire, malmène gentiment son vieil ami et se prenne d’affection pour Jean et sa gamine. Mitch apporte une autre dimension, une profondeur au roman qui empêche de le réduire à un mélo dégoulinant de bons sentiments.
Mark Spragg fait naviguer ses personnages dans une petite ville de l’Ouest avec ses chemins poussiéreux, son zoo décrépi, ses vaches qui broutent, son resto du coin. Une petite ville où il ne se passe pas grand chose, où le rythme de la vie coule plus paisiblement, et c’est précisément pour ça qu’on a envie d’y être. Les personnages d’Une vie inachevée ont été malmenés par les mauvais coups du sort, mais au contact les uns des autres, ils pansent leurs plaies et ont à nouveau envie de s’accrocher à la vie.
Mark Spragg explore la complexité des rapports humains, débusque les fantômes du passé et le poids des non-dits. Une émotion toute en retenue, des éclairs de tendresse et de complicité, d’éblouissantes lueurs d’espoir se dégagent de ces pages empreintes d’une beauté incandescente.
Une vie inachevée, Mark Spragg, trad. Nicole Hibert, Gallmeister, «totem», 2019, 304 p.
© unsplash | Omar Prestwich
Forcément, il est sur mes étagères! (et lu)(mais pas la suite) J'adore aussi ces histoires, un peu prévisibles, mais peut-on y résister?
Décidément, Gallmeister est un vrai trouveur d'or!
De flamme et d'argile est dans ma pal. Vu ce que tu en dis, c'est un auteur qui ne peut que me plaire.
Je me disais bien que l'histoire m'était familière…c'est l'histoire de la petite fille qui fait ses bagages tous les jours qui a fait tilt! j'ai donc vérifié et je me suis aperçue que j'avais lu ce roman en Mai 2013 et qu'a priori je possède même ce livre…zappage total!!
Ce livre est magnifique !!! Je suis super heureuse que tu aies aimé 🙂
J'ai failli lire ta chronique en diagonale car je compte le lire puis j'ai vu la photo et j'ai reconnu l'histoire, j'ai vu le film deux fois ! Jamais lu le livre, mais quand tu les compares aux frères McPherson, je souris ! Je le lirai c'est certain même si je connais l'histoire
Tu veux que je te dise ? tu es une vilaine tentatrice ! D'abord, l'auteur, j'aime +++, mais ensuite, tu as le culot de mettre une photo de Robert Redford et là…je me dis que je ne vais pas pouvoir résister ! Si les blogueuses font vendre des livres ? Toi oui, assurément !
J'ai vu le film et oui c'était bien mais sans plus. Par contre ton avis m'incite fortement à lire le roman. Je note donc.
C'est toi qui m'a mis l'eau à la bouche avec ce roman. Je suis d'ailleurs étonnée que tu n'aies pas lu la suite. Un peu prévisible, certes, mais avec des à-côtés étonnants (Mitch). Et parfois, la prévisibilité fait du bien, non?! Moi, je n'ai pas pu résister!
Des pépites d'or, oui! De tous les romans lus publiés chez Gallmeister (une quinzaine à ce jour), seulement deux me sont tombés des mains. Un bon score!
Je te conseille de lire d'abord \ »Une vie inachevée\ », histoire de voir par la suite, dans \ »De flammes et d'argile\ », comment certains personnages ont grandi et évolué. Pour une fois, je suis contente de ne pas m'être trompée et d'avoir commencé par la «case départ»!
Trop drôle. Ça m'arrive aussi, parfois!
Aimer est un faible mot. J'ai adoré ce roman! Son atmosphère, son écriture, ses personnages: que du bonheur!
Le roman te réserve tout de même quelques surprises… Et puis, pour l'écriture de Spragg, il faut s'y plonger!
Ton commentaire me fait trop rire! Quand j'aime, je n'y vais pas par quatre chemins (quand je n'aime pas aussi!)
Comme cela arrive souvent, le roman ne se compare pas au film. Pas de dentelle ni de guimauves ici!
J'allais t'écrire combien j'ai aimé ce roman, la nature, les cow-boys et les ranchs sans nom. J'allais même te ressortir une citation…sauf que…Je ne l'ai pas encore lu, c'est celui qui traîne dans ma pal depuis six mois et qu'en fait ceux de Mark Spragg que j'ai pu lire sont justement les deux autres, Le fruit de la trahison et De flammes et d'argile.Le con, le con, le con…Mais c'est pas grave, Mark Spragg c'est l'Amérique des cow-boys tranquilles, celle des vieux bourrus au cœur tendre, j'adore !!!
Je suis contente d'voir de l'avance sur toi pour ce titre, mais j'ai du retard avec les deux autres. Heureusement que ce n'est pas une compétition! C'est vrai que Mark Spragg c'est «l'Amérique des cow-boys tranquilles, celle des vieux bourrus au cœur tendre», et j'adore aussi !!!
Et Hop ! Dans ma LAL, merci.Le Papou
Privilégier le haut de la LAL plutôt que le bas!
Eh bien j'adore tes choix de lectures! Différents des miens, ce qui est très agréable! Ce roman m'intéresse tout particulièrement… Très beau blog xx
Merci! Je crois bien que nous nous visiterons régulièrement, histoire de nous inspirer un peu!!!