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Yaak Valley, Montana · Smith Henderson

Au tout début des années 1980, Pete Snow, la jeune trentaine, vit dans une cabane en bois à quelques kilomètres de Teanmile, un petit comté rural du Montana. Ce travailleur social prend son travail à cœur. Mais il a beau faire tout son possible, apaiser les tensions entre les membres d’une famille, acheter des vêtements, des médicaments et de la nourriture pour ces cabossées, c’est toujours à recommencer.

Parmi les puckés dont il s’occupe, il y a Debbie, une mère toxicomane, et ses deux enfants: Cécil, un ado inquiétant et violent, et sa petite soeur Katie. Une famille détraquée. Et il y a le petit Ben, un gamin élevé dans la forêt par son père Jeremiah Pearl, un fondamentaliste chrétien en guerre contre l’humanité, convaincu que l’Apocalypse est pour bientôt. Cet illuminé imprévisible fait froid dans le dos.

La routine de Pete n’est pas de tout repos. Gérer les empoignades entre une mère et son fils, faire face à des rottweilers, placer un gamin en centre d’accueil font partie de son quotidien. Si au moins ça allait bien dans sa vie personnelle… Mais non! Beth, son ex-femme, et leur fille de treize ans sont parties vivre à Tacoma, au Texas. Le père – méprisé –  de Pete se meurt, sa belle-mère – détestée – est froide comme un cube de glace et son frère Luke – détesté –est recherché par la police, alors qu’il est en cavale dans l’Oregon. Comme si ce n’était pas assez, Pete doit aussi jongler avec le passé trouble de sa nouvelle petite amie. Une goutte d’eau vient faire déborder le vase: Rachel fait une fugue. Entre deux brosses, Pete multiple les allers-retours sur le territoire américain pour retrouver sa fille. Tout ça mis bout à bout en fait beaucoup sur les épaules de Pete. Difficile de ramer à contre-courant de toute cette misère (matériel, affective, sociale) qui dégouline de partout.

Yaak Valley, Montana résonne fort, et frappe fort. En tant qu’ancien éducateur spécialisé, il n’est pas étonnant de voir à quel point Smith Henderson maîtrise son sujet sur le bout des doigts et l’aborde avec une grande sensibilité. Toutes les dérives qu’entraînent l’alcool, la drogue, la pauvreté, l’inceste, la violence et la religion sont exposées crûment, sans demi-mesures. Le personnage de Pete est fascinant à plusieurs niveaux. D’abord parce qu’il est loin d’être un saint. Plutôt porté sur la bouteille, il n’est pas le meilleur père du monde. Si son comportement n’est pas irréprochable, il fait de son mieux et c’est tout ce qui compte. De plus, le métier qu’il exerce, rarement mis au premier plan dans les romans, est une porte d’entrée passionnante.

Smith Henderson éprouve une réelle compassion pour ces malmenés de la vie. Et il ne se prive pas d’égratigner au passage ceux qui tiennent le gros bout du bâton. Le juge Dyson, obsédé par la campagne présidentielle, se fiche pas mal des laissés-pour-compte. Et la police n’hésite pas à sortir ses gros bras pour brasser ceux qu’elle doit protéger. Le Montana de Smith Henderson est à mille lieues de celui d’un Craig Johnson, d’un James Welch ou d’un Rick Bass. Ici, les caravanes aux fenêtres bouchées, les maisonnettes en carton goudronné, les cours délabrées et les bars miteux occupent le devant de la scène, laissant les grands espaces et ses paysages grandioses en arrière-plan. 

Un bémol, un seul: Yaak Valley, Montana est beaucoup trop long. L’histoire aurait pu occuper la moitié des pages, l’action être resserrée et le roman aurait été aussi percutant, sinon plus. Digne héritier de Daniel Woodrell et de Larry Brown, Smith Henderson joue déjà, avec ce premier roman, dans la cour des grands. Il offre un roman social magistral, porté par une écriture sans misérabilisme ni complaisance. Un portrait de l’Amérique à la dérive, empreint d’une grande humanité. Un roman percutant.

Yaak Valley, Montana, Smith Henderson, Belfond, 2016, 576 p.

Rating: 3 out of 5.

© unsplash | Emil Kip

36 comments

  1. Décidément ce roman a l'air de beaucoup plaire ! La longueur… va m'empêcher de le lire pour l'instant mais je le garde sous le coude.

  2. C'est souvent l'écueil des romans américains, je trouve : ils sont très longs. Ils gagneraient bien souvent à être élagués pour être vraiment de grands livres.

  3. Je l'ai trouvé parfait.Par ailleurs,j'ai demandé à ce que ton site soit référencé sur Bibliosurf. C'est fait,ta chro est bien sur le site.

  4. Je suis d'accord avec toi dans 90% des cas. Certains gros pavés sont aboutis du début à la fin, sans un mot de trop. Mais souvent, l'élagage serait bienvenu.

  5. C'est bien gentil, ça! J'te remercie. Est-ce pour ce roman seulement ou pour la suite aussi? Je ne m'y connais pas trop avec Bibliosurf, sinon que je consulte le site à l'occasion.

  6. Je l'ai terminé hier soir donc peux lire ton billet tranquillement. Oui, j'ai ressenti quelques longueurs dans le parcours de Rose et aussi dans la forêt, mais bon, ça s'est lu quand même, il y a des dialogues aussi! je n'ai pas trouvé que c'est un pavé, mon exemplaire en VO (et petits caractères) fait 466 pages.

  7. Tant pis pour la longueur, je le lirai! Et ça tombe méga-bien, je vais le recevoir grâce aux Matchs de la rentrée littéraire de Priceminister!

  8. J'aime les bars miteux et si c'est trop long, je me ressers un verre, puis une bouteille. Tant qu'elle n'est pas vide tant qu'il reste des pages à tourner.Mais des bars miteux ressemblent quand même un peu au Montana de James Welch ��

  9. J'arrive après tout le monde, j'avais peur de ta réaction (surtout après ta question sur IG) – te souviens-tu de mon billet ? J'y parlais aussi de \ »longueurs\ » disons que ce livre c'est comme une montagne, on fatigue un peu à arriver tout en haut mais après magie ça repart ! Mais je suis d'accord avec toi – les romans américains sont très bavards. Mais j'ai vu l'exemplaire américain que Keisha a fait dédicacer, et il faisait beaucoup plus court … Je viens de finir un autre roman, noir – qui lui m'a fait penser encore plus à Woodrell. Oh, et puis le choix de situer l'action de Yaak Valley en 1980 était liée au fait que Reagan avait réduit drastiquement les aides de l'Etat et pas de téléphone portable, de wifi – pour montrer à quel point Pete était seul à gérer tout ça. Aujourd'hui, Smith me l'a dit – les éducateurs sont tout le temps en contact avec leur hiérarchie … Bref, tu l'as lu !!! 😉

  10. Je vais aller lire ton billet de ce pas.C'est vrai qu'en dessous de 600 pages, on ne parle pas vraiment de pavé. Le mien m'a semblé gros!

  11. Tant pis, oui! Ce qui semble long pour certains ne l'est pas nécessairement pour d'autres! La dernière fois que j'avais ressenti autant de longueur, c'était avec \ »City on Fire\ » de Garth Risk Hallberg. Et ça ne m'avais pas empêchée de m'être délectée jusqu'à la dernière page.

  12. Absolument! J'y trouve souvent de vraies pépites, particulièrement en littérature étrangère. Je me souviens du choc causé notamment par les romans de Herman Koch, Lionel Shriver, Christos Tsiolkas. Et bientôt, ce sera au tour de \ »Voici venir les rêveurs\ » de Imbolo Mbue.

  13. C'est vrai que tant qu'il y a à boire, on peut faire durer le plaisir… C'est vrai que les bars miteux du Montana se ressemblent tous un peu!

  14. Ça devrait beaucoup te plaire, en effet. Disons qu'il y a ici de la graine de Woodrell, mais Smith Henderson a encore des croûtes à manger. C'est un premier roman, et ne serait-ce que pour cette raison, c'est assez prodigieux.

  15. Oui, je me souviens de ton billet! Je ne regrette pas ma lecture une minute. Pour moi, ce roman est un incontournable de la rentrée (incontournable tout court) et un nouvelle auteur à suivre. Je serai aux premières loges pour mettre la main sur son prochain roman.Autant certains romans américains ne sont jamais assez longs, autant d'autres devraient être moins bavards. Pour moi, le dernier en date est \ »City on Fire\ ». Sinon, je me plains rarement!

  16. Comme je le disais à Fanny, ce qui semble long pour certains ne l'est pas nécessairement pour d'autres! J'ai hâte de voir ce que tu en penseras…

  17. Bon, je l'ai dans ma PAL et maintenant, j'ai des doutes… Les longueurs me font peur… pour les vacances de Toussaint peut-être… Je suis actuellement dans le Valentine Goby, hum, je déguste… quel délice!

  18. Tu peux foncer sans hésiter! Ce qui est long pour certains ne l'est pas forcément pour d'autres. Mais si tu rencontres quelques longueurs, ça vaut la peine d'aller au-delà… Les commentaires sur le dernier Valentine Goby semblent unanimes. Je sens que je vais craquer sous peu…

  19. je ne l'ai pas trouvé trop long moi, j'aurai même eu envie qu'il dure encore pourtant – faute de temps – j'ai bien mis trois semaine à le lire… un gros coup de cœur pour ma part. Je me demandais : saurais-tu me dire qui est la personne avec qui Rose entretien dans les apartés ?

  20. Tu es la seule personne, à ma connaissance, qui n'ait pas trouvé de longueurs à ce roman et c'est tant mieux. Pour ma part, ç'aurait été le coup de coeur si cela n'avait été de ça.Pour Rose: j'ai pensé à un psychologue ou à un travailleur social, mais je suis sans doute dans les patates! La question me taraude encore…

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