Search

En attendant Russell · François Lévesque

Gabriel, six ans, vit dans une ville trop petite, dans un parc de maisons mobiles. Le père travaille au Chemin de fer. La mère reste à la maison. La mère a cessé de sourire depuis un temps. Les pilules sont devenues sa bouée de sauvetage. «Soir et matin, deux pilules blanches et une pilule rose». Le père dort sur le sofa, une bouteille de Jack Daniel’s pas loin. Quelque chose s’est cassé. Ce matin, la mère garde Gabriel à la maison. Y’a de la bonne humeur dans l’air. C’est louche… Après un chocolat chaud, ils iront faire une sieste ensemble. La mère ne se réveillera jamais. Gabriel, lui, aurait dû mourir. Dans l’autobus scolaire, Mathieu vient vers Gabriel. Une étreinte amicale, un peu de réconfort. C’est une étreinte de trop. Dans ce petit patelin, deux garçons, ça ne peut pas s’étreindre, jamais. Ce geste tout simple les marquera au fer rouge. Gabriel apprendra à se haïr, car d’autres le haïront, «longtemps, avec application, avec acharnement». Les années passent.

Au secondaire, Mathieu a choisi son camp. Il s’est rangé du côté des méchants, aux côtés d’Éric et de Dominic. Mathieu est devenu l’ennemi, le bourreau qui n’aura de cesse de poursuivre Gabriel, de le harceler, de le traquer. Cathy vient au secours de Gabriel. Cathy n’a peur de personne, sauf de son père. Ce père qui a la main trop lourde. Grâce à Cathy, un monde s’ouvre devant Gabriel. Le cinéma, les films à la télé. Et Russell Crowe: «Beau comme un homme dont on a envie qu’il nous étreigne avec sa force tranquille, avec sa charpente d’arbre dont on devine qu’il continuera de pousser droit et fort. Un gars comme ça.»  

Lorsqu’il est question d’intimidation, l’adolescence et l’homosexualité ne sont souvent pas bien loin. Les romans qui explorent ces thèmes sont nombreux – et toujours bienvenus, car il y a de ces thèmes dont on ne saurait jamais trop parler. En attendant Russell, passé trop inaperçu, est à classer parmi mes incontournables. Parce que François Lévesque tire bien sa carte du jeu en écrivant un roman lumineux, malgré le tragique et la noirceur qui imprègnent ses pages. Malgré les coups durs, malgré les blessures, Gabriel retombe sur ses pattes. Il quitte son patelin, part dans la grande ville, la tête haute. Il laisse derrière lui des hommes brisés, éteints. Il se libère de sa vie trop étroite pour prendre son envol. Les mots de François Lévesque frappent, ses images sont fortes. Découpé en trois temps, le roman retrace autant de périodes de la vie de Gabriel. L’écriture, très cinématographique, évoque plus qu’elle ne montre. C’est avec une grande finesse que les traumatismes de l’enfance et la résilience dont fait preuve Gabriel sont explorés. Pas de pédés, de fifs ni de tapettes, ici. Tout est entre les lignes. Et c’est là, à mon sens, une des grandes forces du roman. Un roman court, lu d’un seul souffle. Une hymne à la vie.       

En attendant Russell, François Lévesque, Tête première, 2015, 128 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash | Andrew Neel

Close
Close