Quelques citations pour te présenter quatre essais éclairants autour de la brièveté de la vie, du bonheur, de la fatigue et de l’injustice.
Vous vivez comme si vous alliez vivre toujours, jamais votre fragilité ne vous vient à l ‘esprit, vous n’observez pas combien de temps est déjà passé; vous le perdez comme si vous en aviez tant et plus, quand – pour ce qu’on en sait – peut-être celui-là même que vous donnez à quelqu’un ou à quelque chose est votre dernier jour. Autant vos peurs incessantes sont celles de mortels, autant vos désirs incessants sont ceux d’immortels.
Ce n’est donc pas aux cheveux blancs et aux rides que l’on appréciera si quelqu’un a longtemps vécu: il n’a pas vécu longtemps, il a longtemps existé. Penserait-on de la même personne qu’elle a beaucoup navigué parce qu’une tempête épouvantable l’a arrachée au port, emportée de-ci, de-là, tandis qu’une furieuse alternance de vents divers la faisait, dans les mêmes parages, tourner en rond? Elle n’aura guère navigué, elle aura surtout été beaucoup secouée.
Le plus grand obstacle à la vie est l’expectative, qui, suspendue au lendemain, gâche l’aujourd’hui. Tu disposes de ce qui se trouve entre les mains de la fortune, et laisses échapper ce qui est dans les tiennes. Vers quoi es-tu tourné? À quoi te prépares-tu? Toute chose à venir flotte dans l’incertain: vis dans l’immédiat.
De la brièveté de la vie, Sénèque, trad. Xavier Bordes, 1001 nuits, 2022, 64 p.
La plupart des gens vivent comme s’ils devaient toujours vivre, oubliant combien l’existence est éphémère. Nous croyons disposer du temps en nous comme d’une source intarissable. La preuve: qui parmi vous, en ouvrant les yeux ce matin, s’est exclamé en lui-même, ravie et comblé: «Merveilleux! Encore un jour à vivre!» Non, ce jour qui s’offre à nous au matin semble aller de soi. Fous que nous sommes, aujourd’hui et demain nous paraissent des dus alors que nous devrions être emplis de gratitude lorsqu’ils nous sont donnés tels des présents que nous n’avions aucune assurance d’obtenir! Mais si l’on pense à cela au moment de nous endormir, n’est-ce pas, si l’on songe que nous pourrions ne pas nous réveiller, ce serait bien trop effrayant. Alors, nous préférons le déni à l’angoisse qui, aussi pénible serait-elle, nous enjoindrait de vivre sans tarder.
Je n’ai pas le goût du morbide, loin s’en faut. C’est avoir, au contraire, le goût de la vie que de se rappeler à quel point c’est un bien fragile, précieux, dont il faut autant que faire se peut savourer chaque instant. Vivre en pensant sans cesse ainsi à la mort qui rôde change le regard que l’on porte sur les autres, sur soi-même, sur ce qui importe ou non. Pour commencer, cela permet de ne pas s’abandonner à la futilité d’une existence inauthentique.
Nous ne serons heureux que pour autant que nous jugerons que nous le sommes. C’est un paradoxe! Rien ne nous sépare jamais du bonheur que nous-mêmes! Notre bonheur dépend intégralement de nous puisqu’il réside dans l’assentiment que nous donnons, ou pas, à notre vie. Au fond, nous avons toujours tout ce qui est. Nécessaire pour être heureux, estime Montaigne, puisque le bonheur ne réside ni dans la possession ni dans une émotion de plaisir, mais dans le jugement que nous portons sur nous et ce que nous sommes.
Où donc est le bonheur? Marianne Chaillan, Des Équateurs 2022, 203 p.
Il semble qu’il y ait des gains à s’étourdir, que ceux-ci constituent autant de bonnes ou de moins bonnes raisons pour conserver le pied dans l’engrenage. Malgré l’aliénation et l’énergie qui se consume, on éprouve du plaisir à ce «rythme de vie accéléré» […], à survoler les jours, à être efficace, occupé·e. On associe un certain mérite à l’épuisement qui en découle, notamment celui de ne pas perdre de temps, de savoir le rentabiliser, le découper et l’investir, le faire fructifier, aime-t-on se dire. La fatigue justifie nos sacrifices, elle en est une sorte de bien paradoxale récompense. […] Le tourbillon est aussi un moyen, peut-être, de ne pas trop se regarder, de ne pas trop se questionner, de ne pas prendre le soin de valider si «tout va bien», si tout correspond, finalement, à ce qu’on voulait vraiment. L’art de s’épuiser, c’est aussi celui de fermer les yeux et de juste faire.
Nos conditions d’existence sont exigeantes. Concilier travail, famille, amitiés, devoirs, savoirs, pressions, attentes et sa propre personne, ce n’est pas une mince tâche. Pas besoin, ici, de me rappeler «que ma grand-mère se levait à 4h du matin pour faire le pain et qu’elle lavait le linge des 12 enfants à la main pendant que mon grand-père allait bucher le bois pour garder le feu ardent dans le poêle». Les comparaisons historiques sont souvent hasardeuses à moins qu’on puisse vraiment les établir avec justesse et montrer la pertinence des équivalences, ce qui n’est pas donné à tout·te·s. Chaque époque rencontre ses difficultés et ses défis. Et la nôtre est bel et bien fatiguée.
À boutte. Une exploration de nos fatigues ordinaires, Véronique Grenier, Atelier 10, 2022, 78 p.
C’est pas ironique, ça? Une république islamique avec tant de gardiens de la morale et tant de putes! Tout se fait en catimini, sous le tchador, sous le voile, sous le foulard. Les gens sont devenus menteurs, tricheurs, voleurs, violeurs, vils, charlatans… Les charlatans, eux, sont promis à un avenir radieux. Peut-être que partout c’est comme ça, mais ici tout est pourri.
Les putes voilées n’iront jamais au paradis, Chahdortt Djavann, Livre de poche, 2017, 216 p.
J’aime beaucoup les écrits de Chahdortt Djavann. Celui-ci m’avait marqué et je te recommande si tu ne l’as pas lu Et ces êtres sans pénis, très percutant également.
Pour Chahdortt Djavann, c’était une première et assurément pas une dernière. Ne sachant pas avec quel livre poursuivre ma découverte de cette auteure, je m’empresse de noter Et ces êtres sans pénis. Merci du filon.
Je me mets tranquillement aux essais avec un intérêt tout particulier et un enthousiasme qui fait du bien.
J’ai trop longtemps délaissé cette facette de la littérature….
Un essai par-ci par-là est toujours salvateur, je trouve. Il faut seulement que le sujet tombe à point. Et quel essai emporte ton adhésion, en ce moment?
Merci beaucoup pour ces références et ces citations inspirantes ! Je vois que nous cheminons de concert sur une voie de savourer l’instant présent, de prise de conscience que notre temps est précieux et pas mal compté, et que nous pouvons le ralentir pour réellement en profiter.
Je lirai l’essai de Sénèque, c’est sûr.
C’est une idée originale et qui fonctionne à merveille, de parler de ces livres simplement par quelques citations ! Bravo pour l’idée 🙂
N’est-ce pas l’un des principal avantage de vieillir? Il reste moins de temps devant, d’où l’importance de le savourer intensément.
Lectures courtes mais qui parfois arrivent au bon moment ! J’ai beaucoup entendu parler du dernier, et le premier, ça me rappelle mes cours de philosophie !
Mes envies se partagent entre non fiction|essais et fictions. Ces essais sont arrivés à point nommé.
Je suis surtout intéressée par l’essai de Chadortt Djavann, dont j’apprécie toujours beaucoup les interventions, à l’occasion de ses passages à la TV ou à la radio.
De mon côté, je dois aller plus loin dans ma découverte de Chadortt Djavann.