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Seins et oeufs · Mieko Kawakami

Quel étrange roman… Aussi déboussolant que La fille de la supérette de Sayaka Murata. Heureusement que j’aime être déboussolée!

Dans une gare de Tokyo, Natsuko attend sa sœur Makiko, mère monoparentale de 40 ans, et sa nièce Midoriko, 12 ans. Elles viennent d’Osaka passer quelques jours, le temps, pour Makiko, de visiter une clinique de chirurgie esthétique. C’est qu’elle rêve de se faire refaire les seins. Plus gros. Difficile d’échanger avec Midoriko, qui a sciemment décider d’arrêter de parler. En fait, elle ne communique que par écrit. Ces quelques jours en famille se déroulent mollement, jusqu’à une crise où beaucoup d’oeufs sont cassés.

Au final, chacune de ces femmes reste enfermée en elle-même, prise avec ses interrogations, ses incompréhensions et ses craintes. Aucune n’arrive à se comprendre ni à s’atteindre.

Dès les premières pages, j’ai été intrigué par la vie de ces trois femmes. Kawakami dépeint leurs existences de manière crue et honnête, en abordant de front des sujets intimes (menstruations, augmentation mammaire, fonctionnement des ovaires). Seins et Oeufs m’a laissé une étrange impression, vacillant entre intérêt et perplexité. Dès les premières pages, j’étais curieuse de découvrir comment la personnalité propre à chacune de ses femmes se faufilait entre les normes et la pression sociale. Avec un style vigoureux, Kawakami orchestre la vie de différentes femmes en nous ramenant au mystère de l’autre: celui que nous côtoyons et croyons connaître, celui que nous jouons vis-à-vis des autres et de nous-mêmes, entre norme et transgression, peurs et attentes.

Le miroir devant moi est traité antibuée, je peux toujours me voir. Je m’étire, j’étire la peau de mon menton. […] Je me regarde. Au milieu: une paire de seins. Ils ne sont pas bien différents de ceux de Makiko, à peine une peu plus gonflés, avec des mamelons bruns, ils font une drôle de tête, ils pleurent ou ils rient? Des fesses rondes et molles, le cul bas, une protection de graisse autour du nombril, des vergetures comme un tourbillon sur les flancs. La lumière du soir qui entre par le vasistas et celle du néon s’entrecroisent avec légèreté dans la vapeur d’eau. Je me regarde: d’où ça vient, tout ça? Où ça va? Aucune idée. Mon corps est là à flotter, coupé par le cadre du miroir, indistinctement, éternellement là.

Sunalee et Je lis je blogue en parlent aussi.

Seins et oeufs, Mieko Kawakami, trad. Patrick Honnoré, Actes Sud, Babel, 2012, 112 p.

Rating: 3 out of 5.

© unsplash | Zachariah Hagy

12 comments

  1. La couverture elle-même est étrange, voire flippante ! Un roman sur les dérèglements provoqués par la dictature de l’esthétique imposée aux femmes ?

    1. J’ai bien rigolé en te lisant. C’est vrai que de croiser une telle femme avec une grosse sucette dans une ruelle, je flipperais! On y traite un peu de la dictature de l’esthétique imposée aux femmes, mais pas que, et ce n’est pas tant approfondi. On sous-entend qu’elle souhaite de plus gros seins, mais on doit déduire pour quelles raisons.

  2. Tu as donc lu la version courte. Je trouve qu’elle se tient bien en elle-même, j’ai surtout été déçue par la seconde partie rajoutée à ce roman.

    1. Malheureusement, je ne lis pas en anglais. Je n’ai donc pas accès à la version anglaise longue. Et, pour avoir lu ton billet, je ne regrette pas d’avoir lu la version courte. Plus le temps passe et plus j’en garde un bon souvenir. C’est plutôt bon signe!

      1. La version anglaise n’est pas une version longue, mais la traduction d’un autre roman de Kawakami écrit bien plus tard, comme une sorte de suite à Seins et œufs. Hélas, la traduction anglaise provoque beaucoup de confusion en ayant donné le même titre à cette suite, alors que le titre est tout autre chose en V.o. Voir la page Wikipedia en anglais de Eggs and Breasts pour mieux comprendre.

        1. Ah, merci pour ces précisions. J’y vois plus clair, maintenant. Dommage qu’Actes Sud ne l’ait pas traduit. J’aurais été curieuse de lire cette «suite», à tout le moins de retrouver ces personnages.

  3. Je vais le lire tu le sais, donc je te lis et j’espère aimer comme j’ai adoré son autre roman. J’ai la version longue comme Sunalee, du coup, je ne pense pas avoir le même avis que toi après ma lecture, mais ça sera l’occasion d’en échanger à nouveau !

    1. Tu auras un autre avis, car il ne s’agit pas de la traduction du même livre (voir mon autre commentaire plus haut).

  4. Je suis d’accord avec Ingannmic, la couverture est flippante, tête d’adulte, corps d’enfant et cette grosse sucette… Il ne m’attire guère ce roman, malgré ton avis assez positif.

    1. Ça me fait bien rire, ce côté flippant! Ces couvertures qui provoquent un malaise… Je me souviens aussi de la couverture du roman de Lize Spit, Débâcle. J’étais perplexe, en la voyant. D’amalgamer des éléments qui ne vont pas ensemble de prime abord (une tête de femme sur un corps d’enfant, plus sucette) provoque inévitablement une réaction.

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