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Traducteur littéraire: cet obscur métier…

Parmi les métiers du livre, celui d’éditeur, de libraire ou de bibliothécaire nous sont plutôt familiers. Mais il y a des métiers plus «obscurs», dont celui de traducteur.

Passionnée par la littérature américaine, je ne m’attardais jamais sur le nom du traducteur, jusqu’à ce que je tombe sur le roman de Willy Vlautin, Ballade pour Leroy, traduit par Hélène Fournier. J’ai trouvé sa traduction exceptionnelle, à un point tel que depuis, je suis sensible au nom du traducteur. De fil en aiguille, j’ai mis la main sur tous les romans traduits par Hélène Fournier! Elle assure, chez Albin Michel, la traduction d’auteur(e)s que j’affectionne particulièrement (Willy Vlautin, Dan Chaon, Tom Barbash) et d’autres qu’il me tarde de découvrir (Holly Goddard-Jones, Brian Leung, David Bergen). Après la lecture de Surtout resté éveillé de Dan Chaon, j’ai eu envie d’en apprendre plus sur elle et son travail. Évidemment, je n’ai pas pu m’empêcher de lui poser quelques questions sur ses goûts littéraires et ses habitudes de lectrice!

La traductrice

Comment es-tu devenu traductrice? Un peu par hasard. J’ai passé un bac scientifique puis je suis entrée en fac d’anglais sans trop savoir pourquoi. Ensuite en fac de droit et j’ai travaillé des années en entreprise. Au fil de mes rencontres extra-professionnelles, j’ai mis le pied dans le monde du livre, de l’édition, puis s’est ouvert le premier DESS de traduction littéraire en France, j’y ai été acceptée et c’est au cours de cette année que j’ai découvert mon amour pour la langue française. Mais lycéenne, j’avais fait une rencontre fondamentale, ma prof de français. Elle m’a ouvert des horizons, m’a donné le goût de la lecture, de la littérature française, et je suis restée en contact avec elle jusqu’à sa mort, il y a un an. Je lui dois beaucoup.

Est-ce l’éditeur qui te soumet un texte ou toi qui en suggère un? C’est toujours l’éditeur qui me soumet un texte.

Pour toi, comment se déroule concrètement la traduction d’un livre? Je lis très attentivement le texte une première fois, à mon bureau, pas sous ma couette. Je l’étudie comme au microscope. J’essaie d’évaluer les difficultés qui vont se poser à moi, je peux prendre des notes, préparer quelques questions pour l’auteur qui touchent davantage à l’atmosphère générale, à la genèse de ce livre, à ce qu’il souhaite voir se dégager de tel ou tel personnage. Puis je traduis chapitre par chapitre. Un premier jet, puis je lis et relis chaque feuillet en y apportant des corrections et parallèlement je note les points qui me posent problème et j’envoie ces questions à l’auteur. Quand il me répond – ce peut être par retour ou des semaines plus tard – j’intègre ses réponses, je me relis puis je donne le chapitre à relire à un proche. J’intègre ses corrections puis dernière relecture du chapitre. Arrivée à la fin de la traduction, je la relis intégralement avant de la remettre à l’éditeur. Et là encore, j’apporte des corrections. C’est interminable…

Combien de temps mets-tu, par exemple, à traduire un roman de 300 pages? Je ne peux pas vraiment te répondre. J’ai, par ailleurs dans ma vie, des contraintes qui font que je ne peux pas traduire autant que je le voudrais. En plus, je pose beaucoup de questions aux auteurs. Tout ça prend du temps. Je dois traduire à peine deux livres par an. Pour moi, l’idéal serait d’avoir chaque jour une plage de temps illimitée…

Préfères-tu traduire un roman ou un recueil de nouvelles? Les deux me plaisent. La traduction d’une nouvelle donne une satisfaction quasi-immédiate (plusieurs semaines mais ce n’est rien à côté de huit ou neuf mois pour un roman) et en même temps, je n’ai pas le plaisir de côtoyer longuement les personnages, je les effleure, et les quitte presqu’aussitôt. En même temps, chaque nouvelle est un univers à elle toute seule. Dans un roman, je peux davantage découvrir les personnages, les cerner, les comprendre, et l’intrigue est plus riche.

Pour toi, comment se définit une bonne traduction? Une bonne traduction? Vaste débat! je souhaiterais que la perfection soit possible en la matière. Or, j’ai toujours du mal à ouvrir une de mes traductions quand elle sort en librairie de peur de vouloir encore l’améliorer. L’idéal serait d’être au plus proche de ce qu’a souhaité l’auteur et de se faire oublier du lecteur. Il faudrait que la lecture soit sans accrocs.

Quels contacts entretiens-tu avec l’auteur traduit? J’ai de très bons contacts avec mes sept auteurs. Comme nous échangeons beaucoup au cours de la traduction, des liens se créent. C’est aussi ce qui fait que j’aime ce métier. Et plus je connais l’homme ou la femme derrière l’auteur, plus je suis à même de le/la traduire. Avec Dan Chaon, cela fait quinze ans que nous travaillons ensemble, nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises, je n’irai pas jusqu’à dire que nous sommes un vieux couple mais presque… il y a une vraie complicité et une même exigence. Et puis ces sept auteurs sont très différents. Je dois m’adapter à la personnalité et à l’écriture de chacun. Ces échanges m’enrichissent humainement et intellectuellement et je pense que j’aurais beaucoup de mal à traduire un auteur mort. Mais j’ai conscience de leur demander beaucoup.

Une fois que tu as traduit un roman d’un auteur, est-ce assuré que c’est toi qui traduira le prochain? Oui, si l’éditeur est satisfait de ma traduction. De mon côté, je m’engage à le suivre. Et ça reprend un peu ce que je disais plus haut. L’auteur et moi nous connaissons de mieux en mieux et travaillons de mieux en mieux ensemble. Je pense que tout le monde y gagne. Une petite anecdote sur le recueil de Dan Chaon que tu as récemment chroniqué. Quand il est sorti aux Etats-Unis, j’ai lu toutes les critiques. Dithyrambiques, bien sûr, mais hyper flippantes. Il en ressortait que ce livre était vraiment très anxiogène. J’ai, à plusieurs reprises, dit à mon éditeur que je me sentais incapable de passer six ou huit mois dans cette ambiance glauque. Mais le jour où il m’a proposé de confier le recueil à un autre traducteur, je peux t’assurer que j’ai réagi. Pas question pour moi que quelqu’un d’autre traduise un livre de Dan!

Comment parviens-tu à traduire un roman qui ne t’inspire pas? Quand un roman ne m’inspire pas, j’ai la même exigence mais moins de plaisir au quotidien. Voilà tout. En même temps, je trouve cet exercice très intéressant. Il exige plus de moi et il m’emmène là où je ne serais jamais allée seule.

Quels sont les aspects du métier que tu préfères? Mes contacts avec l’auteur dont j’ai déjà parlé. Mais aussi, bien évidemment, le bonheur de travailler la langue française. Je ne serai jamais un écrivain mais, inconsciemment, à travers ce métier, je me donne les moyens d’écrire un livre, en quelque sorte. Et puis le plaisir de quitter la «vraie vie» et de côtoyer des personnages pendant des mois, auxquels forcément je m’attache.

Et ceux que tu apprécies le moins? Il faut beaucoup de volonté pour se mettre devant son ordinateur tous les matins. Il y a aussi les moments de découragement où j’ai l’impression que ma traduction n’est qu’une bouillie de mots. Je l’ai ressenti très fortement lors de la traduction de Ballade pour Leroy. Les passages en italiques m’ont demandé énormément de travail, j’en ai bavé. Je suis donc particulièrement étonnée que tu aies aimé ma traduction. Et puis cette quête de perfection qui ne prend jamais fin, c’est un peu usant.

Arrives-tu à vivre de ce métier? Pas du tout.

La lectrice

Es-tu une grande lectrice? Je l’étais, oui, quel plaisir mais je lis moins, malheureusement, car je ne dispose que de très peu de temps pour ça.

Est-ce que le fait d’être traductrice influence ta façon de lire un roman traduit? Je ne m’en rends pas compte mais oui, certainement. Il m’arrive de «trébucher» dans ma lecture ou de me dire instinctivement que j’aurais fait tel ou tel autre choix de mot. Mais certains lecteurs peuvent sûrement en dire autant de mes traductions.

Comment choisis-tu tes lectures? Je surveille d’assez près la littérature française. Sinon je fonctionne beaucoup aux coups de cœur de mon entourage et je lis énormément de critiques.

Ton plus récent coup de cœur? Je ne lis pas forcément les livres au moment de leur parution. J’ai fini récemment les lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo et j’ai aussi particulièrement aimé Mémoire de fille d’Annie Ernaux. Mais j’ai aussi adoré Celle que vous croyez de Camille Laurens et D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan, et j’ai été bouleversée par Charlotte de David Foenkinos.

Quel livre lis-tu en ce moment? Les portraits de Truman Capote et En vieillissant les hommes pleurent de Jean-Luc Seigle. Tu vois, je ne suis décidemment pas à la page! et je ne t’ai donné qu’un seul titre d’un livre étranger paru il y a des décennies!

Grâce à cette entrevue, je réalise tout le travail et l’énergie qu’il y a derrière une traduction. Que d’investissement, que de fignolage… C’est sans fin! Moi qui suis passionnée de littérature étrangère, plus particulièrement de littérature américaine, je serai à l’avenir plus reconnaissante devant ce travail de moine!

© unsplash | Trent Erwin

 

 

12 comments

  1. Très intéressant. Merci de nous avoir fait partager, ce moment, cette discussion.Souvent, j'avais remarqué qu'un auteur était traduit par la même personne, certainement pour cette confiance instaurée qui lie auteur-traducteur (en plus du contrat lié à la maison d'édition).Certains traducteurs me reviennent plus facilement en mémoire (mais j'avoue que des fois je n'y fais pas du tout attention, malheureusement), et je suis parfois prêt à le suivre quelque soit le roman ou l'auteur juste parce que le nom du traducteur me rappelle d'autres livres lus précédemment.

  2. Merci à toi et à Hélène Fournier de nous permettre de voir ce travail d'une manière différente, plus personnelle ! Super intéressant ! On fait souvent peu de cas de ce nom ajouté à celui de l'auteur et pourtant il faut une sacrée dose de sensibilité pour restituer une ambiance.

  3. Merci Virginie ! Je veux juste dire aussi que chaque traducteur littéraire à sa propre façon de travailler. La mienne a d'ailleurs évolué au fil des ans. Et très peu de mes confreres/consœurs posent des questions aux auteurs, ou alors deux ou trois en fin de traduction. Donc je ne suis pas vraiment représentative de la profession.

  4. J'adore ce genre de rendez-vous! Pour l'échange et pour tout ce que j'apprends (pour le partage ensuite). La démarche est, je l'avoue, d'abord égoïste. Après, j'espère que ça plaît. Après cette entrevue, je suis allée voir des romans traduits que j'ai énormément aimés et j'ai noté le nom du traducteur. Je ferai une petite recherche dès que j'aurai un peu de temps pour voir leurs autres traductions. Dorénavant, je serai beaucoup plus vigilante et commencerai à suivre certains traducteurs, comme je suis certains auteurs.

  5. Depuis longtemps je note le nom du traducteur quand je lis un livre (sauf si c'est en français ou en VO bien sûr)alors ce thème m'intéresse énormément!J'ai aussi assisté à une rencontre avec Oliver Gallmeister accompagné 'un de ses traducteurs, et ce fut passionnant! Un accord à trouver aussi entre les deux.Assistait au débat une traductrice de romans disons romantiques qui hélas semblait ne pas avoir autant de chance!

  6. C'est clair que c'est véritablement un travail de fourmi la traduction d'un roman!! Quelle chouette interview, merci Marie-Claude! C'est bête, mais je ne me rends pas encore vraiment compte des éléments qui font une bonne traduction et de qualité :-// J'imagine, les tournures de phrases, la concordance des temps (surtout en anglais), mais le reste??

  7. vraiment passionnante cette interview !j'avoue qu'avant d'avoir un blog, je m'intéressais peu aux traducteurs (voire même aux maisons d'édition d'ailleurs – seuls le livre et l'auteur m'intéressaient)mais la soeur de Coralie avec qui j'enregistre Bibliomaniacs est traductrice (assez connue d'ailleurs : Nathalie Bru) donc du coup ça m'a sensibilisée au travail qu'il y a derrière une traduction de qualité.

  8. Dorénavant, je noterai systématiquement le nom du traducteur dans mes billets sur des romans étrangers. Après avoir vraiment pris conscience de l'importance et de la nécessité de cette profession, c'est la moindre des choses!Oh, la chance… J'aurais beaucoup aimé assister à cette rencontre avec Oliver Gallmeister.

  9. Merci Laeti pour ton message. J'aurais beaucoup à dire mais je vais essayer de faire court et, encore une fois, ma réponse n'engage que moi.Tu as raison, il faut respecter les temps, même si pour le passé nous jonglons en français entre l'imparfait, utilisé dans des cas bien précis, et le passé composé et le passé simple. Il faut trouver ce qui est le plus léger, un cumul de verbes au passé composé est lourd, un cumul de verbes au passé simple aussi puisque nous l'utilisons très peu au quotidien. Il m'est arrivé de traduire au présent un paragraphe qui exigeait beaucoup de rythme, des actions qui se succédaient rapidement, passé composé et/ou passé simple auraient alourdi la lecture et j'avoue que le résultat m'a paru relativement léger. Et puis on ne traduit pas que les mots. Il faut savoir rendre une atmosphère et faire que les personnages aient une certaine épaisseur. Tout en restant neutre, en ne les investissant pas d'émotions qui me seraient propres. Parvenir aussi à intégrer des références culturelles étrangères sans mettre de notes de bas de page qui coupent la lecture d'une œuvre de fiction. En fait, j'aimerais qu'un lecteur français ne s'aperçoive même pas qu'il lit une traduction et que l'auteur, s'il était capable de lire le français, puisse me dire : \ »Je reconnais bien mon livre et tout ce que j'ai voulu y mettre\ ». Je n'aurai pas assez d'une vie pour y arriver. Mais j'espère avancer dans cette direction et me rapprocher chaque fois un peu plus du but.

  10. Merci beaucoup pour cette réponse 🙂 Eh bien j'avoue, je ne me rends jamais compte qu'il s'agit d'une traduction lorsque je lis un roman étranger ! C'est plutôt bon signe! Par contre, dans les albums pour tout-petits, j'ai déjà été très ennuyée par l'utilisation abusive du passé simple. Il s'agissait d'une traduction, de l'anglais bien souvent. En français, ça ne \ »donne\ » rien du tout. Et quand on doit le lire à un enfant, ce n'est pas très beau 🙂

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