Search

Morel · Maxime Raymond Bock

Après deux recueils de nouvelles et une novella, Maxime Raymond Bock en vient au roman. Et quel roman! Extraordinaire. Mémorable. Impressionnant. (Tu me connais, quand j’aime, j’aime pas juste à moitié!) Morel, c’est le roman d’une vie, celle de Jean-Claude Morel. C’est aussi le roman d’une ville: Montréal.

Qu’on vive à Montréal ou qu’on y ait séjourné, on connaît le métro, le Stade, le tunnel, l’échangeur Turcot, la Métropolitaine, l’île Sainte-Hélène, la Place Ville-Marie. Ces projets ont été construits par des milliers de mains. Il y en a eu du jus de bras! Jean-Claude Morel fait partie de ces bâtisseurs.

Jean-Claude se raconte, même s’il pense n’avoir rien d’intéressant à dire. Il détricote le fil de sa vie à sa petite-fille Catherine, curieuse de patcher les trous de son histoire familiale. Il raconte, au fur et à mesure que les souvenirs lui viennent.

Né pendant la Grande Dépression, Jean-Claude vit avec sa famille, embarqués les uns par-dessus les autres, dans un petit appartement mal isolé du Faubourg à m’lasse. Il abandonne vite l’école pour se trouver une job dans la construction. La mort de son père pousse Morel à rentrer de force dans l’âge adulte. Pendant la Révolution tranquille des années 1960, Montréal se transforme en un gigantesque chantier de construction. Morel est de tous les projets. Il tombe fou amoureux de la belle Lorraine. Les enfants arrivent. Nombreux. Les conditions de travail exécrables, le salaire de crève-faim, l’expropriation, la mort d’un enfant, la brouille avec un autre, un divorce, une seconde chance (sainte Monique), la maladie, le deuil, la solitude. Une vie.

Ainsi se succèdent les semaines, à reconstruire par la seule forces de ses nerfs le duplex incendié dans Saint-Henri, Morel fidèle à sa discrétion, mais en pleine désintégration alors que résonnent dans son corps les coups de marteau et les tours de perceuse distribués sur le pilote automatique. Les souvenirs l’obsèdent, des répliques obtuses reçues et lancées, des grognements pour clore l’argumentation quand il s’était égaré dans les méandres de la logique, les souvenirs de la gifle que lui a balancée Lorraine la veille de son départ […] Cette claque s’est avérée l’aboutissement de tant d’années de délitement conjugal. Combien? Les treize depuis la mort de Jeannine? Les neuf depuis sons refus de suivre les Boutin à Verdun? Seulement les sept depuis que son crochet du droit a coupé les ponts avec André? Jusqu’à quel embranchement doit-on remonter pour repérer le mauvais virage?

J’ai eu un énorme coup de foudre pour Morel. Tant pour la musique des mots que pour les personnages – Montréal inclus. La construction du roman est d’une ingéniosité impressionnante. La chronologique est toute tordue: un chapitre se termine sur une scène. Au début du suivant, on se retrouve dans le même lieu ou avec les mêmes personnages, mais plusieurs années auparavant, ou plus tard. Si c’est déroutant au début, on pogne vite le tour. Parce qu’une fois qu’on comprend la patente, chaque nouveau chapitre force l’admiration devant tant d’ingéniosité. L’histoire d’une vie, d’une époque et d’une ville, le tout raconté en 284 pages. Moi, j’appelle ça un exploit. Ce roman, au même titre que le Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy et L’avalée des avalés de Réjean Ducharme, se doit de devenir un classique, pour tout ce qu’il incarne et représente. Longue vie à Morel.

Morel, Maxime Raymond-Bock, Le Cheval d’août, 2022, 284 p.

Rating: 5 out of 5.

10 comments

  1. Tant d’enthousiasme ne peut que me convaincre ! Très curieuse de découvrir cette construction narrative que tu dis si magistrale. Et en plus, il est question d’une ville, les sujet urbain est une de mes marottes en littérature.
    D’ailleurs, tu serais d’accord pour qu’Ingannmic et moi, on inclut ta lecture dans l’activité « Sous les pavés, les pages » ? Elle semble bien correspondre.

    1. Ce roman devient, à mes yeux, un roman urbain incontournable.

      Je suis évidemment d’accord pour inclure Morel dans l’activité «Sous les pavés, les pages». Longue vie à ce fabuleux roman.

  2. Athalie m’a devancée ! Je pique ton lien… et je note aussi ce titre pour moi, bien sûr, ton enthousiasme est communicatif !

  3. Dans ma pile à lire. Sirop je crois que je vais en devancer ma lecture après un tel commentaire. Merci m’dame.

  4. quel enthousiasme ! très bonne nouvelle et j’imagine un roman qui parle en plus de Montréal, tu étais dans tes chaussons du coup (j’invente une expression)
    j’ai aussi publié mon billet pour mon Coréen préféré (dernier défi) je dois encore le publier sur IG mais les journées passent trop vite déjà

    1. ah zut, je ne suis pas connectée mais c’est moi la Nantaise pur beurre 😉 Je salue Marley, Bidule et la fille !

Comments are closed.

Close
Close
%d bloggers like this: