Il y a eu le billet le plus court. Maintenant, il y aura le billet le plus long. Pour faire changement, je vais m’adresser à moi-même, car je sens que je risque de te perdre en cours de route! Je n’ai pas l’intention ni la prétention de te donner envie de lire nos vieux romans canadiens-français. Mais si l’envie de t’instruire un brin te tente, tu peux faire le voyage avec moi!
La littérature du terroir est le premier courant littéraire né au Québec. Ses auteurs ont étiré la sauce jusqu’au bout. Entre La terre paternelle (1846) et Le Survenant (1945), pas moins de quarante romans du terroir ont été publiés. Ça semble peu, en cent ans, mais sachant que c’était le genre à la mode, bien vu des hautes instances, ça fait beaucoup de romans de la même sorte! C’est pas mêlant, ils s’y sont tous mis. Le peu de romans parus qui s’éloignaient de ce courant étaient soit mis à l’Index, soit très marginaux.
Il n’y a évidemment aucun mal en soi à écrire des romans terriens, des romans exaltant le sol, la race, prise, ici, non dans son sens étroit mais dans celui d’un groupe d’hommes partageant les mêmes labeurs, menant les mêmes luttes, possédant les mêmes affinités culturelles et spirituelles; il n’y a aucun mal à remuer la terre dans une œuvre, d’en soupeser la richesse et de dresser l’inventaire de tous les espoirs qu’elle offre. Bien au contraire! Le mal réside dans l’excès, dans l’exclusivité, dirions-nous aujourd’hui; on peut aimer le foie gras truffé; mais un repas où tous les services répéteraient le même plat risquerait de donner la nausée.
Le roman canadien-français, Dostaler O’Leary, 1954
Mais c’est quoi, au juste, la littérature du terroir?
Un peu de chair autour de l’os s’impose: les méchants Anglais étaient majoritaires au Québec. Si les francophones voulaient survivre et éviter l’assimilation, ils devaient assurer leur « conservation ». Pour y arriver, ils cultivaient la terre, faisaient beaucoup d’enfants, allaient à l’église et parlaient français. Ça marchait assez bien. Le hic, c’est qu’à force de faire des enfants, les lopins de terre sont venus à manquer. Il fallait aller de plus en plus loin pour avoir sa propre terre et « partir la famille ». Plusieurs, plutôt que de monter dans le Nord défricher de nouvelles terres, faisaient leurs valises. Ils partaient en ville, où les manufactures embauchaient, ou aux États-Unis, où le travail ne manquait pas et où la paye était bonne. Devant le « dépeuplement » de son territoire, le gouvernement et le clergé encourageaient les ouailles à aller défricher de nouvelles terres. Ils faisaient miroiter mers et mondes. Cette idéologie de conservation prenait toute la place. Les romanciers ont puisé à cette source. Par leurs histoires, ils ont perpétué les valeurs et les traditions ancestrales, ont vanté ad nauseam les mérites de la terre et condamné les dangers de la ville et de la forêt. Certains ont sermonné fort et donné des leçons, alors que d’autres ont nuancé et apporté des bémols. Les romans du terroir sont à peu près tous tissés dans le même canevas: on y fait l’apologie de la terre (les misères et les privations des cultivateurs n’existent pas), on y vénère le bon Dieu et on n’« empêche pas la famille » (on fait donc des enfants en masse). On entretient les traditions: les parties de cartes, la préparation de la tire d’érable, du pain et de la soupe aux pois, la bénédiction du jour de l’An, etc. On diabolise le progrès et la ville, lieu de débauche et de perdition. Hors de la terre, point de salut.
J’ai lu cinq romans du terroir et, ma foi, mon emballement ne s’est pas essoufflé. Au contraire, j’en redemandais. Le fait de les lire à mon gré a fait toute la différence d’avec une lecture imposée.
La terre paternelle · Patrice Lacombe · 1846

À Gros Sault, paroisse de Sault-au-Récollet, près de Montréal, Jean Chauvin et sa femme Josephte vivent sur leur terre avec leurs fils Jean et Charles, et leur fille Marguerite. Charles, le cadet, décide de s’engager, pour trois ans, avec la compagnie du Nord-Ouest. Pour s’affranchir du joug paternel et jouir de sa pleine liberté, il part vers les forêts des pays d’en haut. Son père n’est pas ben ben content, sa mère et sa sœur sont inconsolables. Craignant que l’aîné décide de suivre les pas de son frère, Chauvin a l’idée de l’attacher à la terre en la lui léguant, moyennant une petite rente – c’était à la mode, à l’époque. Il en parle à sa femme, qui trouve l’idée bonne. On passe chez le notaire et l’affaire est réglée. Jean est content, mais il n’a pas trop le tour avec la terre et ça va de mal en pire. Comme il n’arrive pas à payer de rente à son père, il révoque la donation. Ce qui n’est pas au goût du père, obligé de sortir de sa retraite. Le père Chauvin loue sa terre et, avec sa petite famille, part s’installer dans un gros village, où il ouvre un beau commerce. Pas plus fou qu’un autre, Chauvin veut monter les échelons, lui aussi. « Il avait remarqué que quelques-unes de ses connaissances avaient abandonné l’agriculture pour se lancer dans les affaires commerciales; il avait vu leurs entreprises couronnées de succès; toute son ambition était de pouvoir monter jusqu’à l’heureux marchand de campagne qu’il voyait honoré, respecté, marchant l’égal du curé, du médecin, du notaire, et constituant à eux quatre, la haute aristocratie du village. »
Après des débuts florissants (tout nouveau – tout beau), les affaires déclinent. Faut dire que Chauvin n’a pas le sens des affaires. C’est la faillite. La famille déménage à Montréal. Père et fils se trouvent une job de « charroyeurs d’eau », pendant que mère et fille raclent les fonds de tiroir et « font quelques ouvrages à l’aiguille ». Après une dizaine d’années de misère noire, l’aîné est « attaqué d’une maladie mortelle » et meurt. Faute d’argent, Chauvin est incapable de payer à son aîné un service religieux digne de ce nom. Le corps doit être abandonné au charnier, la pire affaire au monde. Survient le miracle: après quinze ans d’absence, Charles rentre au bercail, les poches pleines d’argent. Il rachète la terre paternelle, se marie et prend soin de ses vieux parents, alors que Marguerite se marie à son tour avec un bon cultivateur du coin. Amen.
Qu’est-ce qui m’a tant plu, dans ce roman? L’avalanche de catastrophes étaient délectables. À partir du moment où Chauvin quitte sa terre, ça n’arrête pas de mal aller. J’ai aimé découvrir la façon dont l’idéologie du terroir se mettait en place. En aspirant à la bourgeoise et en voulant prendre une place qui n’est pas la sienne, Chauvin est puni. La fin est digne du plus beau conte pour enfants.
J’en ai appris, des choses du temps!
· La signature chez le notaire, c’était toute une affaire. Parents, amis, voisins s’entassaient dans le bureau du notaire pour assister à la passation de la terre au fils. Y’avait de quoi se montrer et fêter!
· J’ai découvert un métier disparu: les crieurs, ces hommes qui criaient les dernières nouvelles et les annonces importantes le dimanche à la porte des églises.
· L’existence des charniers, cette « horreur des pauvres », ce « réservoir où les clercs-docteurs venaient, à prix fixe, y choisir les sujets de dissections qui leur convenaient. Il s’y faisait un trafic régulier de chair humaine. » Je comprends l’horreur et le désespoir de Chauvin, d’imaginer son aîné se faire couper en morceaux plutôt de monter direct au ciel.
J’ai été étonnée du peu d’enfants que comptait la famille Chauvin. Trois enfants, c’était bien peu, à l’époque. Pour les besoins de l’intrigue, j’imagine que c’était ben en masse.
Dans tous les romans du terroir que j’ai lus, il y a un chien. Le nom du chien, dans La terre paternelle, surpasse tous les autres: Mordfort. N’est-ce pas extraordinaire?
J’ai trouvé le style un peu guindé, trop sage et sans grandes couleurs. Il m’a fallu attendre plus tard pour goûter aux joyaux de notre parlure.
Maria Chapdelaine · Louis Hémon · 1913
J’ai parlé de Maria Chapdelaine y’a pas longtemps. Le succès du roman a eu pour effet que tout le monde voulait copier le roman de Hémon. Avec Maria Chapdelaine, si le vernis craque un brin (la terre est bonne, mais exigeante; Lorenzo, l’exilé aux États, dénigre vertement la vie sur la terre), la morale est sauve: le beau François, qui se refuse à la terre, préférant courir le bois, est puni en mourant. Maria perd son grand amour. Plutôt que de partir aux États avec Lorenzo, elle épouse Eutrope, le bon défricheur, et perpétue les valeurs et traditions. L’affaire qui m’a le plus agacée, dans ce classique, c’est la pléthore de guillemets et d’italique. La parlure canadienne-française ne semblait pas particulièrement assumée. À titre d’exemples: « L’été dernier, quand il est venu « icitte ». », « – Reste sans bouger, ben à l’aise, au lieu de « bardasser » tout le temps entre les couvertes et d’empirer ton mal. », « Elle a couru « dret » sur les ours. »
Ah oui, le chien, ici, s’appelle tout simplement Chien!

La Scouine · Albert Laberge · 1918
Le roman d’Albert Laberge fait figure de mouton noir. Avec ce roman, on parle d’anti-terroir. Ici, le vernis craque de partout. Albert Laberge avait de bonnes influences littéraires! Lecteur de Zola et de Maupassant (mis à l’Index), il voulait, comme eux, faire vrai, écrire vrai. Terminée l’apologie de la terre. Avec Laberge, le cultivateur se transforme en esclave ignorant, asservi à sa terre ingrate. Au gré des tableaux qui composent le roman, Laberge brosse le portrait de la famille Deschamps sur une cinquantaine années. Il porte principalement son attention sur deux des enfants: Charlot, dit le Cassé (il est tombé en bas d’une échelle et boite depuis ce temps-là) et Paulima, la Scouine du titre.

Le roman s’ouvre à l’automne 1853. Urgèle et Maço Deschamps ont trois garçons: Raclor, Tifa et Charlot. Un soir, au souper, Maço se sent mal.
– Mon vieux, j’cré ben que j’vas être malade.
– À soir?
– J’cré que oui.
– Ça serait teut ben mieux d’aller cri le docteur.
– J’cré que oui.
– J’irai après manger.
Le lendemain, il y avait « une mare de sang à l’endroit où d’ordinaire, on jetait les eaux sales. La mère Lecomte était en train de préparer le dîner. » Voilà, simple de même: les bessonnes Caroline et Paulima étaient nées. Le temps passe, les journées s’écoulent dans un silence triste et froid. Les enfants grandissent. Raclor et Tifa travaillent sur la terre et finissent par se marier. Charlot et Paulima ne se marieront jamais. Le père Urgèle s’éteint à petit feu. À sa mort, Maço, Charlot et Paulima vont vivre au village. Paulima développe une fixation pour les porteurs de soutane. « Vulgaire, familière, elle est devenue un véritable cauchemar pour les deux prêtres. Ils la fuient comme le choléra. » Charlot, lui, soupire d’ennui. « Il a renoncé à la terre pour aller goûter le repos, la vie facile, et il n’a trouvé que l’ennui, un ennui mortel, dévorant. Il ne vit pas; il attend la mort. »
Ma relecture de La Scouine, remise dans son contexte, m’a enchantée. La parlure canadienne-française est savoureuse. Laberge ne s’embarrasse ni de guillemets ni d’italique. On parle vrai, ici.
La vie de ces « mangeurs de misère » est terrible. C’est une vie sombre, sans aucun espoir. Si la terre peut être bonne et belle, l’homme, laid et mauvais, gâche tout. Les Deschamps sont pauvres: matériellement, intellectuellement et affectivement. S’il est impossible de s’attacher à eux, le plaisir presque malsain à les découvrir se révèle délectable.
– Le vieux Gendron s’est nayé en passant su la rivière Saint-Louis. I portait les provisions à sa p’tite fille au couvent. La glace n’était pas solide, mais i a voulu avancer quand même et i a péri. I mangeait ane pomme lorsqu’i a enfoncé.
Ici aussi, j’ai appris quelques trucs au passage:
· Un autre métier disparu: le coupeur. Lui, il passait d’une ferme à l’autre pour châtrer les bœufs.
· À cette époque, au Québec, je pense qu’il n’y avait pas de dentistes, du moins, pas à la campagne. Aussi, ce sont les médecins qui arrachaient les dents – quand ce n’était pas un bout de fil attaché à une poignée de porte!
˙ J’ai lu un passage qui ne pourrait plus apparaître dans un roman contemporain. La scène, d’un racisme barbare, a lieu dans une fête foraine:
Charlot et la Scouine se trouvèrent tout à coup devant une toile tendue verticalement comme un mur. Au centre, bordée de tavelle rouge, était un clou dans lequel passait une tête horriblement charbonnée et qui faisait toutes sortes de hideuses grimaces. Un compère invitait les passants à s’arrêter.
– Seulement que cinq sous pour trois balles. Si vous frappez le nègre, vous aurez un cigare; deux fois, deux cigares; trois fois, trente sous. Allons, approchez, mesdames et messieurs, seulement que cinq sous pour trois balles.
Un vieil oncle revient de la Californie, où il était parti chercher de l’or il y a des dizaines d’années. À peine deux semaines après son arrivée, sans que personne ne s’en doute, il se pend dans la grange. Le suicidé sera condamné. « Jérémie fut enterré dans le lot des enfants morts sans baptême, des mécréants décédés sans avoir fait leurs pâques. » Comme quoi, de partir vivre aux États n’est jamais bon!
Le chien, ici, se nomme Gritou et l’autre, noyé dans le puits, n’a pas de nom.
Trente arpents · Ringuet · 1938
Le pauvre Euchariste perd sa famille dans un incendie. À cinq ans il est envoyé à Saint-Jacques, en Mauricie, pour être adopté par son oncle Éphrem, veuf et sans enfant. À la mort de l’oncle, Euchariste hérite des trente arpents de terre. Il se marie avec Mathilde, la fille qu’il courtisait depuis un bout. Euchariste et Mathilde font une tralée d’enfants: treize, dont huit vivants. En mettant au monde, à quarante ans, la petite dernière, Mathilde meurt. Les saisons se suivent et se ressemblent. Les enfants grandissent, se dispersent, bousculent la vie du paternel, enchaîné aux valeurs et traditions tenaces du monde rural. Alors qu’Oguinase, l’orgueil du père, étudie pour devenir prêtre et qu’Étienne reprend la terre, Éphrem, le préféré, part vivre aux États.
« La famille d’Étienne montait sournoisement comme une inondation, envahissant la table, la maison et bientôt les champs. » À soixante ans, Euchariste commence à se sentir de trop, plus utile à rien. Il part en voyage – prolongé – aux États, chez son fils. Éphrem, maintenant marié à une fille de là-bas et père de deux enfants, mène un beau train de vie, avec maison et auto. Euchariste tentera de se faire une place parmi eux. Ne parlant pas anglais, il n’arrive pas à communiquer avec sa bru et ses petits-enfants. Il ne se sent plus nulle part chez lui. Il reporte constamment son retour au Québec, sentant bien qu’il n’est plus le bienvenu là-bas. Il doit travailler pour permettre à la famille d’arrondir les fins de mois. Surveillant dans un garage, il ne désespère pas – mais n’espère pas trop – de revenir un jour au pays, mourir sur sa terre.

Trente arpents déroule le fil de la vie d’Euchariste Moisan, de 1887 à 1932. Ce classique fait son poids. Avec ses 336 pages, c’est le plus volumineux de la gang. Trente arpents vogue sur les derniers lambeaux de l’idéologie du terroir. La modernité fait son entrée. Euchariste a passé la majeure partie de sa vie dans un rang, où le cheval était l’unique moyen d’aller d’un endroit à un autre, où on travaillait la terre de la même façon depuis des lustres. Soudainement, l’auto arrive, l’électricité et le téléphone aussi, et une nouvelle machinerie agricole vient maximiser les rendements. Si certains jeunes restent attachés à la terre, tout en cherchant à moderniser les façons de faire, plusieurs sont attirés par la ville et les États, et ce n’est pas plus mal.
Les traditions ont du plomb dans l’aile. La religion devient une affaire de routine, plus que de dévotion. La famille se disperse. Il n’apparaît plus sacrilège d’« empêcher la famille ». Une discussion entre Eucharistre et un cousin des États laisse le paysan perplexe.
– Pourquoi c’est que t’as pas amené les autres petits Larivière? […]
– Y en a pas d’autres. Rien que Lily et Billy.
– Quiens! Demanda Moisan naïvement. C’est-y que ta femme est malade? […]
– Well, cousin, on trouve que c’est assez de deux, un boy pis une fille.
– Moé itou j’aurais p’t’êt’aimé autant pas en avoir treize. Mais on mène pas ça comme on veut.
– Damn it! Ma femme pis moé on a décidé de mettre les brékes.
Avec Trente arpents, Ringuet ne moralise ni ne sermonne. Il ne fait aucune apologie. La parlure canadienne-française est fièrement mise en scène; la langue est riche et colorée.
Le pittoresque, entre ces pages, m’a charmé de bout en bout. Phonsine a des contractions. Elle a un « mal de ventre de mariage »; pour soulager ça, rien de mieux que de se frotter le ventre avec du beurre! En ville, on cache ses taches de rousseur avec de la farine. Chez Ringuet, les gens n’ont pas un « doute », mais une « doutance ».
La méfiance envers les docteurs semblait répandue à l’époque.
Le docteur, le docteur! que j’te voye seulement aller chez le docteur. J’ai un cousin qu’avait des maux qui y couraient le long des côtes; y est allé, chez le docteur. Y a dit que c’était pas grand’chose; il y a donné des petites pinunes et pis il y a demandé une piastre et demie. Ça l’a pas empêché de rester bronchite tout le temps de sa vie, ni de mourir d’une pleurésie.
Pourquoi il y a si peu de paysans en politique?
Si le médecin peut quitter son cabinet, le notaire son greffe, le commerçant sa boutique et, à la rigueur, l’ouvrier son chantier, le paysan seul ne se peut séparer de la terre, tant ils sont ligotés l’un à l’autre.
La ville, ici, est dépeinte moins négativement que dans les romans précédents. N’empêche que si on le compare à l’homme de la terre, « l’homme des villes, sans cesse mobile et passager au milieu des choses passagères et mobiles qu’il crée, détruit, recrée, ne saurait vivre que d’une vie précaire et momentanée. »
Ma lecture de Trente arpents a été jouissive du début à la fin. Ça partait fort. Page 12, je demande à ma sauterelle de me lire un passage.
Pour le sûr, m’sieu Branchaud. Là-bas, c’était quasiment rien que du caillou. On sumait des pétaques et pis quand il venait le temps de récolter, on ramassait des cailloux, des petits, des gros, et presquement pas d’pétaques.
Gros fou rire devant la perplexité de la sauterelle qui ne comprend rien à ce qu’elle vient de lire.
J’ai été déçu de ne pas trouver de chien dans Trente arpents.
Le Survenant · Germaine Guèvremont · 1945

Le père Didace vit sur sa terre avec son fils Didace-Amable et Phonsine, sa belle-fille, au Chenal du Moine, près de Sorel. Sa femme est morte « usée de peine » après la noyade d’un de ses enfants. Un soir de l’automne 1909, un étranger débarque à l’heure du souper. Contre gîte et nourriture, il offre la force de ses bras et sa vaillance. L’arrivée du Survenant transforme la vie de cette petite communauté jusque-là fermée au monde. Le mystère qui entoure le Survenant en fascine plus d’un, à commencer par le père Didace, qui ne dédaignerait pas de l’avoir comme fils et héritier. Faut dire que son grand flanc mou de fils unique n’est pas plus vaillant qu’il faut et que sa bru se sentait plutôt « faite pour porter de la dentelle et de la soie que pour servir les autres. » Le Survenant s’installe, prend ses aises, au grand désespoir d’Amable et de Phonsine, qui se sentent menacés. Il est fascinant, cet homme; il a vu du pays, a vécu toutes sortes d’aventures. Les voisins accourent pour venir l’écouter raconter. Une voisine s’attarde souvent… Angélina Desmarais, la vieille fille boiteuse, qui a toujours levé le nez sur ses prétendants. Le passage du Survenant s’étire sur une année. Un soir, il est introuvable. Le Survenant, ce « grand-dieu-des-routes », est parti comme il est venu, sur un coup de vent.
Comme dans Trente arpents, il n’y a aucune trace d’idéalisation du passé, ici. Mieux que ça, l’ailleurs fascine, fait rêver; il n’est plus l’incarnation du mal qu’il faut punir ou exorciser.
– Vous autres, vous savez pas ce que c’est d’aimer à voir du pays, de se lever avec le jour, un beau matin, pour filer fin seul, le pas léger, le cœur allège, tout son avoir sur le dos. Non! vous aimez mieux piétonner toujours à la même place, pliés en deux sur vos terres de petite grandeur, plates et cordées comme des mouchoirs de poche. Sainte bénite, vous aurez donc jamais rien vu, de votre vivant!
Si la religion demeure omniprésente, elle n’exerce plus une emprise castrante. Les rites et les coutumes sont omniprésentes, mais la petite croix noire du Survenant, « à laquelle un christ d’étain, usé aux entournures, ne pendait plus que par une main. » laisse présager un desserrement du corset. Jusqu’à l’amour physique, scandalisant pour Angelina, est magnifié par le Survenant.
Après avoir traversé au pas la ville de Sorel, le cheval, sous la conduite du Survenant, s’engagea dans le chemin de Saint-Ours. Tout à coup il fit une embardée. Près d’une roulotte abandonnée dans le champ, un couple de bohémiens, vêtus de hardes de couleurs vives, se caressait, sur le talus, au bord de la route.
Angélina rougit:
– Regarde-moi donc ces campions…
– Quoi! s’ils s’aiment…
– Raison de plus! Je comprends pas que…
– Quoi, encore?
– Qu’il y en ait pour qui l’amour soye… rien que ça.
L’air soudain attristé, le Survenant regarda ailleurs et marmonna:
– Faut jamais mépriser ce qu’on comprend pas. Peut-être qu’avec tout le reste, ce rien-que-ça, il y en a qui peuvent pas l’avoir.
Avec nuance et subtilité, Germaine Guèvremont a écrit une belle histoire d’amour, une ode à la liberté et à la différence. Le message, et non des moindres, est qu’il peut y avoir un salut en dehors de la terre. Ce n’est pas rien!
Ici, le chien s’appelle Z’Yeux-ronds. Et lui aussi est fasciné par le Survenant.
Mon bilan? Trente arpents incarne, à mes yeux, la quintessence du genre. Même sorti de son carcan historique, le roman de Ringuet se suffit à lui-même. Ce qui, pour moi, définit un vrai classique. La Scouine m’a fascinée. Je me suis empressée, non sans difficulté, de mettre la main sur une anthologie de nouvelles de Laberge et, du même coup, sur La terre de Zola. Maintenant, je quitte la campagne pour la ville.
J’ai commencé à lire ta chronique au petit déjeuner et je finis sur l’ordinateur….. Quelle chronique complète sur un genre que je n’explore plus (terroir français) car je trouve que les ressorts sont assez stéréotypés et souvent dès la mise en place des personnages, grosso modo je me doute du déroulé. Par contre je trouve souvent dedans un puits de connaissances des temps passés, de modes de vie, d’habitudes, rituels et même bon sens dans la vie de tous les jours et compare souvent nos vies d’avant avec celles de maintenant….. il y a du bon et du moins bon de chaque côté….. En tout les cas merci pour cette tranche de littérature québécoise dont nous n’avons que peu d’échos ici 🙂
Je sais, c’était très long à lire. Imagine à écrire!
Tu n’as pas tort, le tout est très stéréotypé et on voit tout venir avec de gros sabots. Dans l’exercice que j’ai fait, là était précisément mon plaisir. De découvrir comment l’un respecte le canevas alors que l’autre fait un gros pas de côté. J’avoue que de n’avoir lu qu’un seul roman n’aurait pas eu le même effet sur moi et que mon ressenti s’en serait trouvé changé.
De comparer le mode de vie d’hier à celui d’aujourd’hui me donne le vertige. C’étaient des héros, des saints, ce monde-là.
Merci à toi de m’avoir lu en entier. Tu mérites une grosse étoile!
Merci pour ce billet, passionnant à découvrir ! J’aime beaucoup ta manière de les avoir lus, avec un recul anthropologique.
« La famille d’Étienne montait sournoisement comme une inondation, envahissant la table, la maison et bientôt les champs. » : quelle formule !
« Pour le sûr, m’sieu Branchaud. Là-bas, c’était quasiment rien que du caillou. On sumait des pétaques et pis quand il venait le temps de récolter, on ramassait des cailloux, des petits, des gros, et presquement pas d’pétaques. » : J’adore l’humour de cette phrase ! Les pétaques, ce sont des pommes de terre ?
J’aurais bien envie de tenter la lecture de Trente arpents 🙂
Merci à toi de m’avoir lu!
Il y avait des pièces d’anthologie entre ces pages. Je me suis tellement amusée. Là, je suis dans les premiers romans psychologiques. Je comprends pourquoi plusieurs romans sont introuvables. C’est qu’ils vieillissent plutôt mal…
Si jamais tu veux lire Trente arpents et que tu peines à mettre la main dessus, fais-moi signe.
Oui, les pétaques sont des pommes de terre. Ici, on appelle ça communément des patates. Entre pétaques et patates, il n’y a pas loin! Bien joué!
Comme Mumu, j’ai lu ton article en deux fois, j’avais de choses à faire ce matin mais ce soir, je peux mieux me concentrer. C’est passionnant de te lire à ce sujet – pas sûre que je lirais les livres par contre, d’ailleurs pas sûre non plus que je comprendrais tout.
Du coup, je me demandais: comment était ta famille, tes grands-parents et ancêtres ? Est-ce qu’il y a des points de reconnaissance avec ces romans ?
Je dis ça parce que mon papa reconnaissait ses oncles et grand-oncles dans un roman « du terroir » flamand, « De vlasschaard » ou « Le champ de lin » de Stijn Streuvels. (Parce que oui, tout mon monde est aujourd’hui francophone, mais je viens d’une famille aux origines flamandes).
Il était long en titi, ce billet, hein?! J’ai bien fait le tour du sujet!
J’ai trouvé quelques points de reconnaissance entre mes lectures et la vie des mes grands-parents et parents. Avant de se marier avec ma mère, à 26 ans, mon père allait couper du bois tous les hivers, à partir de 16 ans. Il a connu la vie de chantier. Il rapportait sa paie à ses parents et ne gardait que quelques sous. Ses parents étaient cultivateurs et, comme dans les romans du terroir, la terre a été donné à l’aîné. Je me souviens, vers 4-5 ans, d’avoir été, à la fin de l’été, «faire les foins» et que le chien Mickey m’avait mordu! C’était une grosse ferme, avec vaches laitières et cochons. Ils vendaient le lait et la viande. Aujourd’hui, c’est devenu une grosse ferme industrielle menée aussi par un aîné (mon cousin) et ses deux fils. Du côté de ma mère, son père a quitté la ferme pour ouvrir le magasin général du village. Dès 12 ans, ma mère y travaillait, tout en allant à l’école. C’est d’ailleurs là qu’elle a rencontré mon père. À 16 ans, elle a épousé mon père et «partait pour la famille». Ma mère est une entrepreneuse. Elle a toujours été dans le commerce, ayant fondé deux magasins qui existent encore aujourd’hui. En cela, elle se distingue de la vie de la terre! La vie d’hier m’apparaît surréaliste. Une vie de labeur incessant, d’asservissement. Tout est si différent aujourd’hui. Mais sommes-nous plus heureux?
Il semble pas mal du tout, ce «Champ de lin». Dommage qu’il soit si difficile à trouver.
Tu as raison, il semble très difficile à trouver – la preuve que ce type de littérature n’a plus la cote. Si jamais le croise en seconde main, je te l’achète ! En version originale, par contre, aucun souci, c’est toujours édité.
Il y a un film aussi, datant de 1983, mais ça ne va pas être plus facile à trouver !
Super! On se fera un échange! La culture du lin m’intrigue. Il n’y en avait pas, par ici!
Ils l’ont tourné récemment, ce film. 1983, c’est presqu’hier!
Une partie de mes ancêtres étaient des ouvriers dans la récolte du lin, et ça n’avait pas l’air d’être drôle.
1983, j’avais 11 ans (et j’ai vu le film à l’époque).
Eh ben, nous avons exactement le même âge!
Une chose est certaine, nos ancêtres transpiré comme nous ne transpirerons jamais. J’ai une admiration infinie pour ces travailleurs. Idem pour ces mères qui avait un nombre impressionnant d’enfants à nourrir et à habiller.
Ouille ouille ouille certain! Les ouailles, évidemment! Merci d’avoir soulever la coquille.
hello ! j’ai attendu ce matin car tu avais prévenu que ton billet était long, et c’est le cas ! J’ai vu Maria Chapdelaine du coup je comprends bien cet attachement à la terre, faire la terre .. Quelle vie ! Mais au final, en te lisant, je me dis que ça ressemble aussi beaucoup à la vie des paysans français – la même, de père en fils, et partir à la ville c’était pas bien vu pendant longtemps et puis les temps ont changé. Aujourd’hui, le nombre de suicides a explosé chez les paysans car ils sont « esclaves » de leurs terres, leurs bêtes.. Peu de jeunes veulent prendre leur suite. Mes grand-parents étaient maraîchers et prenaient rarement des vacances, ils se levaient à 4H du matin. Ma mère m’en parle souvent, une vide dure labeur.
Je connais le crieur, et le coupeur ! J’ai passé mes étés à la campagne et si tu lis Maupassant et Zola, ils sont cités.
En tout cas, je trouve ça cool que tu aies eu cette « envie » et que tu te sois délectée avec ces lectures ! On ressent bien tout le plaisir que tu as eu à les lire et forcément ça te parle plus qu’à nous. Bon, par contre, je confirme que côté prénoms, vous êtes forts ! LOL
J’ai aussi quelques « lubies livresques » ces temps-ci et oui, c’est tellement plus réjouissant que les lectures imposées !
Je viens de finir mon cinquième Zola, je vais aussi lire La Terre bientôt 🙂
Oui, quelle vie! Les paysans d’aujourd’hui sont « esclaves » de leurs terres et de leurs bêtes autant qu’hier. La différence: les rendements imposés. Les contraintes sont aussi nombreuses qu’hier, mais elles sont de d’autres ordres.
Maraîchers, cultivateurs, en France, au Québec… Je crois que la vie de la terre était très similaire et aussi exigeante. À une différence près: l’hiver!
Je vais lire La Terre de Zola. Il m’attend. As-tu un roman de Maupassant à me conseiller, un qui se passe à la campagne?
Oh la la ! Quelle longueur en effet ! Bref… je ferme tout de suite et j’y reviens pus tard ? Je lis en plusieurs fois ? Ou je ne lis pas du tout ?
Allez, je me lance, et tu auras peut-être droit à un autre commentaire dans lequel je parle pour ne rien dire !
C’est rafraîchissant, ce genre de commentaire.
Tu devrais te le permettre plus souvent!
Billet passionnant dans lequel, si on omet le contexte particulier de la « conservation », je reconnais une certaine mentalité de la campagne française qui avait encore lieu dans ma prime jeunesse, où le dur labeur gagné à la seule sueur du front du paysan était valorisé, voire sacralisé, et immanquablement opposé aux ronds de cuir urbains qui étaient réduits à de simples bon à rien… Mais ça, c’était avant. Ce monde-là n’existe plus. Les mentalités ont (un peu) évolué sur ce point-là
Tu es donc si vieux que ça? Je blague!
Au final, entre la campagne et la ville, c’est encore le combat plutôt que l’harmonie. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée, du moins par ici. Les gens de la ville regardent de haut les arriérés de la campagne. Reste que les riches de la ville veulent encore leur lopin de terre à la campagne, idéalement au bord de l’eau, pour aller se prélasser en vacances. Mais n’est-ce pas ainsi aussi chez toi? Le Parisien qui veut son pied-à-terre en Bretagne?
Bref, la vie d’hier, faite de labeur incessant et exténuant, est révolue. Mais autres temps, autres moeurs… Nous sommes autant épuisés, mais plus pour les mêmes raisons.
Passionnant ton billet, et la longueur ne m’a même pas gênée… Et cette phrase m’a beaucoup amusée « L’avalanche de catastrophes étaient délectable ». Je te reconnais bien là…
Non, vraiment, beau tour d’horizon qui donne envie de se délecter aussi de ce genre d’écrits.
Tu connais bien mon affection pour les catastrophes et les situations tordues, hein?!
Je me suis vraiment beaucoup amusé, entre ces pages. Je m’amuse beaucoup moins, par contre, avec les romans psychologiques. Ça se passe dans la bourgeoisie et ça parle «à la française». Tu imagines mon ennui?!
L’extase devant un oeuf de poule et le veau qui tête! Tu as fait ma soirée!
En passant, je suis aussi vieille que toi, je pense. Y’a rien de mieux que l’expérience et la sagesse!
Mais quel article génial! C’est subjectif la longueur… une heure de lecture intéressante passe sans qu’on ne la remarque, une heure chez le dentiste et tu vois chaque minute passer ahahah. En parlant de dents, tu m’as rappelé des souvenirs, mon grand-père avait l’habitude de nous arracher les dents de lait qui ne tenaient plus qu’à un fil, en attachant un fil à la poignée de porte!!! Heureusement, il n’était pas dentiste. Nous prenions ça comme un défi, j’en garde un bon souvenir…
Bon rien à voir avec l’époque dont tu parles. Parenthèse mise à part, j’ai appris énormément de choses en te lisant et je compte prendre le temps d’examiner ces livres de plus près, je ne sais pas si on les trouve ici. Honnêtement, je n’y connaissais rien de rien en littérature du terroir québécoise.
Ces noms de lieux, et ton clin d’oeil au nom des chiens, le langage (il n’y pas que ta fille qui n’y comprend rien) j’adore. Je vais prendre du temps pendant les Fêtes. Merci pour cet article et son ton absolument délicieux.
C’est tellement vrai que la longueur est une donnée subjective!
Tu as donc eu droit, toi aussi, à l’arrachage de dents par ficelle? Tout un défi, en effet!
Je suis ravie que mon ton a su t’apporter un peu de délice! C’était le but, plus que de donner envie de lire ces vieux romans!