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Dépoussiérage du roman canadien-français

Tout ça, c’est la faute à Maria Chapdelaine! Ou « grâce à »! Ma participation, le mois dernier, au challenge Les classiques, c’est fantastique, a eu l’effet d’une détonation. Tu n’es pas sans savoir que j’ai l’envie de butiner du côté des classiques et de ne plus mettre tous mes œufs dans le panier de la littérature fraîchement parue. Le plaisir inattendu que j’ai eu à lire le roman de Louis Hémon m’a fait prendre conscience de deux-trois choses.

Je n’ai rien lu – ou tout oublié – des classiques de la littérature canadienne-française* publiés avant 1960. Sur les bancs d’école, la seule évocation de Louis Hémon ou de Ringuet me donnait envie d’éternuer, tant ces romans sentaient la poussière et transpiraient l’ennui. Je n’avais ni curiosité ni intérêt pour ces lectures imposées. D’autant plus qu’il fallait les lire en les décortiquant. On était loin du plaisir de se laisser porter par un roman. À l’époque, mon engouement s’est concentré sur les classiques plus modernes: les Marie-Claire Blais, Anne Hébert et Réjean Ducharme. Mais avant? Un trou noir rempli de poussière! La littérature canadienne-française est très jeune. Le tout premier roman d’ici daterait de 1837 avec L’influence d’un livre de Philippe Aubert de Gaspé. La même année, en France, paraissaient La muse du département de Balzac et Mauprat de George Sand. Ça te donne une idée du fossé existant entre nos cultures littéraires? Lord Durham, dans son rapport de 1839, écrivait que les Canadiens français étaient « un peuple sans histoire et sans littérature qui ne mérite rien de mieux que l’assimilation ». Après la parution de L’influence d’un livre, les romans arrivent au compte-gouttes. Certains courants apparaissent. Une littérature « non assimilée » voit enfin le jour.

Inspirée par ma lecture de Maria Chapdelaine, je me suis concoctée un petit cours sur mesure de littérature canadienne-française, loin du cursus scolaire. Les ouvrages d’histoire littéraire et les Internet débordent de résumés et de catégorisation. Je veux ruminer cette Histoire et la digérer à ma manière, la colorer avec mes mots. Me v’la donc partie à dresser une liste de vieux romans publiés dans la première moitié du 20e siècle, à deux exceptions près: 1846 et 1961. J’en ai choisi quinze. Ils ont en commun d’avoir tous fait beaucoup de bruit à leur parution; certains encensés, plusieurs mis à l’Index. Si je n’ai eu aucune misère à mettre la main sur certains, d’autres ont demandé une recherche approfondie. En 1945 paraissent trois romans importants. Pourquoi Le survenant de Germaine Guèvremont et Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy sont constamment réédités, alors que Les hypocrites de Berthelot Brunet est à ce point difficile à trouver? De toute évidence, certains auteurs sont tombés injustement dans l’oubli. L’histoire littéraire se construit par des choix qui varient au gré des années et des historiens. Au final, l’arbitraire est maître.

Je m’attèle donc à la découverte des premiers romans de mon coin de pays. Je lirai aussi, en alternance, des romans récents. L’aventure, déjà commencée, s’annonce étonnante et instructive. Je n’ai ni l’envie ni la prétention de te donner envie de lire les classiques que je mettrai de l’avant. Par contre, si tu lis mes prochains billets, tu comprendras un peu mieux quel drôle de peuple nous sommes!

* Il faut attendre les années 1960 pour que la littérature cesse d’être canadienne-française pour devenir québécoise.  

© unsplash | Monika Sojcakova

36 comments

  1. Oh je vais guetter cela de près car j’avoue n’avoir pas connaissance (même seulement de titres) de la littérature canadienne… Merci pour cette heureuse initiative qui ne peut que me ravir moi qui le tourne également de plus en plus vers les classiques

  2. Quel beau »défi» que tu te fixes là. Je te souhaite de belles découvertes et je vais suivre tes billets avec intérêt.

    1. Tout un défi, oui! Jusqu’à maintenant, sur les onze romans lus, un seul a été abandonné et j’ai eu trois gros coups de coeur. J’ai hâte de découvrir la suite…

  3. Je comprends tout à fait ta démarche, j’en ai une un peu similaire, mais avec les films. Et quelles découvertes déjà au début des années 1930 !
    Pas sûre par contre que je te suivrai pour la littérature belge, vu que lire un livre prend quand même plus de temps que voir un film, et que j’ai encore assez de choses contemporaines à lire.

    1. Je ne m’aventure pas dans la littérature belge, mais canadienne-française!
      Ton exploration des « vieux » films est géniale. Et c’est vrai que de visionner un film demande moins de temps que de lire un livre!

      1. J’aurais dû m’expliquer un peu mieux: j’avais bien compris que tu allais lire la littérature canadienne-française mais j’extrapolais à mon cas: vu que je suis Belge, si je fais comme toi, je devrais découvrir la littérature de mon pays.

          1. Justement, pas du tout ! J’ai lu les «Mémoires d’Hadrien» de Marguerite Yourcenar, mais ça doit être à peu près tout. En plus il ne faut pas oublier qu’il y a littérature belge en français ET en néerlandais (pas lu grand-chose non plus en nl, même si j’aime beaucoup la non-fiction de David Van Reybrouck et Bart Van Loo).

            1. Marguerite Yourcenar est belge. Dire que je l’ai toujours pensé Française. Merci de la remise à l’ordre!
              Je sens qu’il y a plusieurs similitudes entre la littérature belge et la canadienne; ne serait-ce que la question de la langue: littérature belge en français ET en néerlandais chez toi, littérature québécoise en français ET en anglais chez moi. Deux mondes, deux univers… Dirais-tu que le nombre de publication est égal entre le belge en français et celui en néerlandais?

              1. J’ai dû vérifier pour Marguerite 😉
                Aucune idée pour le nombre de publications, le marché néerlandophone est très réduit, le francophone beaucoup moins mais dominé par la France.

  4. Je suivrai de près les retours que tu nous feras de tes explorations !
    Bravo pour ce voyage.
    Je trouve ça dingue qu’il ait fallu attendre les années 1960 pour que la littérature cesse d’être canadienne-française pour devenir québécoise. C’est choquant, quand même.

    1. et attendre aujourd’hui pour lire des romans où ils s’expriment comme ils le font oralement et pas dans un français académique ! Mon premier choc il y a six ans lors de mon premier séjour au Québec fut de voir (et encore aujourd’hui) la proéminence de la littérature française dans les librairies (ah Schmitt!) quand la littérature québécoise avait droit à un petit bout de table .. aujourd’hui cela change mais ce fut long !

      1. Tu verras que l’oralité était omniprésente dans certains romans de l’époque. Alors que dans d’autres, elle était complètement rejetée. L’influence française était très forte à l’époque, comme elle l’est pas mal encore aujourd’hui. La littérature québécoise, aujourd’hui, occupe une belle part des tables des librairies. Mais elle ne surpassera jamais (en ventes et en visibilité) la littérature française. Il y a, derrière ça, une question de production. Les livres importés surpassent, en nombre, la production d’ici. Et il y a ces lecteurs québécois, encore nombreux, qui lèvent le nez sur les auteurs de chez eux.

    2. J’ai été étonnée de l’apprendre moi-même. Je pensais, à tort, qu’on utilisait littérature canadienne-française ou québécoise indistinctement, selon le mood de celui qui en parlait. Eh ben non!

  5. Et bien moi je dis que tu as eu une sacrée bonne idée! A la lecture de tous ces noms, je me rends compte que je n’en connais aucun, je compte donc sur toi pour m’instruire… et je suis déjà certaine que tu vas me donner envie!

    1. Le pire, c’est que je n’ai pas «cherché» cette idée. Elle m’est, pour ainsi dire, tomber dans les pattes. Je ne m’attendais pas à apprendre autant de choses. À lire mes billets, tu apprendras, forcément, quelques petits trucs amusants. Tu me diras si c’était pareil par chez toi!

  6. Une aventure dans le passé va sûrement bousculer un peu la poussière … Très intéressant en tout cas ce que tu dis de cet arbitraire de l’oubli, ou de ces choix dans l’histoire littéraire, imminemment politiques ce me semble, pour certaines périodes dans la littérature où des auteurs sont mis en avant alors que d’autres sont enterrés. Le manuel scolaire, en France du moins, est révélateur de ces choix idéologiques.

    1. C’est une question sur laquelle je ne m’étais jamais réellement penchée, mais cela fait naître plein de points d’interrogation.
      Pourquoi on parle encore de X, alors que Y est totalement oublié. Tu a raison de dire que cela relève, pour beaucoup, de choix idéologiques, voire politiques. En lisant certains vieux romans, je comprends pourquoi un tel n’est plus réédité. Par contre, je suis stupéfaite qu’un autre tel soit introuvable alors qu’il est parfait au niveau littéraire, sociologique et psychologique.

  7. Te voilà donc plongée dans ton passé, je trouve ça normal, je fais pareil avec Zola je revisite l’histoire de mon pays ! j’ai hâte de t’entendre me raconter ta chasse ! j’adore ça ! Pour ma part, j’ai aussi choisi un nouveau défi littéraire … hâte que l’on en parle!

    1. Un nouveau défi littéraire? Tu m’intrigues fort!

      Cette plongée dans mon passé est totalement jouissive. La littérature québécoise contemporaine m’intéresse peu, mais cette plongée dans l’hier d’ici m’amène à apprendre une foule de choses. Et la parlure est truculente! J’ai souvent droit à une crise de fou rire!

        1. Je mettrai des extraits pour chacun. Je te mets au défit de tout comprendre. Même moi, j’ai ramé à quelques reprises. Imagine!
          Je file sur ton blogue!

    1. C’est fascinant comment nos parcours de lecture peuvent faire de soudains pas de côté. Si tu m’avais dit, il y a un an, que j’irais m’aventurer du côté des premiers romans de part chez nous, je ne t’aurais pas cru! Parfois, il ne faut qu’une petit étincelle pour bifurquer.

  8. En tout cas, tu n’as pas froid aux yeux, pour sûr ! Sacrée équipée dans laquelle tu viens de te lancer. Je te souhaite bon courage mais surtout bon(s) plaisir(s).

    1. Il faut que le plaisir soit toujours au rendez-vous, sans quoi ça n’en vaudrait pas l’aventure! Je suis, jusqu’à maintenant, après onze romans lus, très agréablement surprise. Je quitte le roman de la terre pour entamer le courant psychologique. Hâte de voir…

    1. Dire que le meilleur est à venir! Les découvertes que je fais sont étonnantes. Je ne m’attendais pas à être à ce point enthousiasme. Sois certaine que si ce n’étais pas une partie de plaisir, je ne m’enbarquerais pas dans cette aventure. Sur les onze romans lus jusqu’à maintenant, je n’ai qu’un abandon et une lecture bof-bof. J’ai terminé le premier courant (la littérature du terroir) avec deux coups de coeur. J’entame le deuxième (roman de l’intériorité ou psychologique) avec certaines appréhensions…

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