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La bête de sa mère · David Goudreault

Ce roman, je l’attendais impatiemment, les mains tendues. L’illustration de la couverture, toute en rouge et blanc sur fond noir… Il ne m’en fallait pas plus pour plonger, les yeux bien fixés.

Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades. Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics. […] Ma mère était discrète, elle se suicidait en cachette la plupart du temps. Contrairement à ce que présentent les rapports officiels, je n’étais pas affecté par ses habitudes. Quand maman sortait la tête de ses enfers, c’était une femme merveilleuse.

Le narrateur se raconte. Il livre sa version des faits: il y a un cadavre, il y a des preuves, des circonstances atténuantes et aggravantes. D’entrée de jeu, il est bien mal parti. Son père a foutu le camp. La vieille voisine sourde du dessous est sa seule amie. Sa mère, abonnée aux tentatives de suicide, décide de l’abandonner aux services sociaux. Jusqu’à ses dix-sept ans, il sera ballotté de familles d’accueil en familles d’accueil, avec «déménagements, changements de garde, transferts scolaires, refontes des plans d’intervention.» Il apprend une foule de choses pratiques, dont mentir et manipuler. Et il lit. Beaucoup. Il marine dans la littérature. Mais lire ne le sauve pas. Ça l’enfonce.

Après un détour par l’aide sociale, il se trouve un boulot à la SPA – même s’il a quelques meurtres d’animaux à son actif! Et puis, pourquoi tuer des animaux, serait-ce si grave, si répréhensible? Un dimanche matin frisquet, Agnes aborde Omar à la sortie d’un bar et glisse ses mains glacées sous son chandail. Ils finissent de se réchauffer sous la couette d’Agnes. Une histoire sans lendemain? Que non! Après quelques mois de fréquentation, ils décident de vivre ensemble. Ils filent le parfait amour. Et pourtant… On sait d’entrée de jeu qu’Omar va mettre le feu à leur maison et prendra la fuite, abandonnant Agnes et son bébé. Que s’est-il passé entre leur rencontre et l’incendie?

Entre les locaux de la SPA, où il travaille aux côtés de Reynald, et les bars qu’il squatte, notre anti-héros multiplie les mauvais coups et les excès: vol, vandalisme, alcool, drogue, pornographie, jeux. Il ne manque pourtant pas d’ambition. En plus de vouloir joindre le crime organisé et d’écrire des citations, il rêve d’enregistrer un album de rap et de faire carrière aux États-Unis, parce que c’est là que ça se passe! Et il y a sa quête, sa grande quête: retrouver sa mère. Oh! Il l’a retrouvera. Mais ce ne sera pas aussi idyllique qu’il l’espérait. Et ça finira mal. Très mal.

Le narrateur est un paumé pathétique, antipathique. Un glandeur déjanté, désenchanté. Raciste, misogyne, homophobe, voleur, menteur, agressif, égocentrique, mégalomane, fabulateur, irrationnel, meurtrier… un « p’tit Christ » de la pire espèce, une tête à claques. Tellement qu’il en devient attachant. Il utilise le sarcasme comme arme suprême. Une façon d’éviter d’être déçu par les expériences et les gens qui l’entourent. Plutôt que de contourner les obstacles, il choisit de foncer dedans tête baissée, transformant cette quête improbable en cauchemar.

David Goudreault n’a pas fait dans la dentelle. À la manière d’un dur à cuire, il a écrit son roman à la première personne avec ce qu’il faut d’humour noir et de scènes chocs, voire gore. En dix-huit chapitres, courts, haletants, il réussit le tour de force de danser sur la ligne étroite entre le détestable et l’aimable, entre le tragique et l’humour. La bête à sa mère est le récit d’un poqué fini qui fonce tout droit dans le mur, au passé trouble, au présent troublant et à l’avenir inquiétant. Sadique, mais aussi fulgurant et drôle, le premier roman de David Goudreault peut étonner, fasciner, écœurer. En aucun cas, il ne laisse indifférent.

La bête à sa mère, David Goudreault, Stanké, 2015, 232 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash / Raquel Pedrotti

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