Une fois n’est pas coutume… Je profite de mon espace pour te partager un texte fort écrit par une jeune femme épatante. J’ai connu Lili-Jeanne alors qu’elle était encore dans le ventre de sa mère, ma meilleure amie. Je l’ai vu grandir, changer. Depuis quelques années, nous sommes devenues amies. Elle me confie ses projets, dont l’écriture d’un futur roman qu’il me tarde de lire en entier. Elle me parle de ses angoisses, questionnements, insécurités. Un mardi soir d’été, elle m’a fait lire ce texte. J’ai voulu te le partager.
Du haut de mes 17 petites années d’existence, ce soir, je me demande si je suis réellement une femme libre. Oui, je suis une Nord-Américaine, je vis dans un pays où les femmes ont le droit de vote, le droit à l’avortement, le droit de s’exprimer, de penser, d’étudier, de travailler et d’aimer. Sur papier, je vis dans un pays où les femmes sont « libres ». Mais le sommes-nous vraiment? Je ne sais pas…
Nous sommes libres et en même temps, nous sommes prisonnières de la pression sociale, de la peur de déranger, de préjugés et de stéréotypes qui nous ramènent des années en arrière. Nous sommes prisonnières de l’image de la femme que nous a imposée le cinéma, la littérature, la société d’hier et d’aujourd’hui. Que nous nous sommes imposées nous-mêmes, en fait… Nous sommes enchaînées à cette femme modèle que nous essayons toutes d’imiter pour se sentir un peu moins coupable d’exister. Parce que oui, même les plus indépendantes, les plus affranchies et les plus courageuses d’entre nous essaient d’atteindre l’inatteignable. Nous avons toutes cette partie de nous qui tente d’atteindre l’équilibre parfait pour être une femme sexy, mais respectée; une employée modèle, mais pas téteuse; une amie présente, mais pas énervante; une amoureuse aimante, mais pas étouffante; une soeur réconfortante, mais pas dérangeante; une mère présente, mais pas trop; une automobiliste courtoise, mais pas trop; une environnementaliste consciencieuse, mais pas trop; une humaine parfaite, mais pas trop. Parce que c’est ça la réalité; c’est ce qui est exigé de nous; c’est ce qu’on s’exige à nous-mêmes… Que ce soit les contes pour enfants, les traditions familiales, les publicités, les réseaux sociaux, les influenceurs et même la pornographie; tout est pensé pour que les femmes se sentent coupables de ne pas atteindre cette perfection aberrante. Parce qu’une « vraie femme » est en couple, fait le ménage, fait à manger, s’occupe de la maison, se maquille et s’habille bien; elle est mince, intelligente, fait du sport et travaille. Il est attendu d’elle qu’elle soit une bonne mère de famille, une bonne maîtresse, une bonne employée, une bonne citoyenne.
Et à toutes celles qui me diront « ce n’est plus comme ça, la société a évolué », je vous demanderai qui fait le ménage chez vous? Qui fait à manger le plus souvent? Qui se maquille avant de sortir de chez soi? Qui s’est déjà trouvé trop grosse, trop petite, trop grande, pas assez intelligente? Dans les grandes fêtes familiales, est-ce les femmes ou les hommes qui se lèvent pour faire la vaisselle? Combien de fois vous êtes vous faites demander «As-tu un p’tit chum? », « c’est pour quand le mariage ? », « Veux-tu des enfants ? ». Et quand la réponse à ces questions est négative, l’inévitable « Pourquoi » arrive. Pourquoi tu sors du cadre? Pourquoi tu n’as pas de chum, qu’est-ce que TU fais de mal? Pourquoi tu ne veux pas te marier? Pourquoi tu ne veux pas d’enfant? Alors que si, à ces questions, tu avais dit oui, personne ne t’aurait demandé « Pourquoi ». Les gens veulent simplement vérifier que tu ne transgresses pas la perfection. Si tu veux te marier, personne ne te demandera pourquoi, ils seront juste rassurés. Alors, sommes-nous des femmes libres? Je ne sais pas…
Nous sommes libres de faire nos choix, mais nous devons parfois affronter tellement de désapprobation, de questions et de malaises, que nous préférons nous conformer. Assumer ses choix, assumer la personne que nous sommes, assumer notre corps et nos failles relève d’un grand courage et d’une force de caractère que j’admire. Parce que la pression est là. Elle pèse si fort sur chacune de nous que certaines se conforment sans même s’en rendre compte. Lorsque tu es seule chez toi, te maquilles-tu? Portes-tu une brassière? Te soucies-tu de ton look? La majorité d’entre nous répondront « Non ». Et lorsque tu sors, est-ce différent? Pour la majorité d’entre nous, bien sûr que c’est différent…
Certes, la femme d’aujourd’hui a évolué, elle est plus libre qu’autrefois, mais la culpabilité est toujours là. Omniprésente. La culpabilité de ne pas être assez efficace au travail, de ne pas avoir assez de temps pour ta famille, pour tes amies, de ne pas faire assez de sport. La culpabilité d’être fatiguée, d’être anxieuse, de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir « le goût » tous les soirs comme ton chum voudrait. La culpabilité de ne pas être à la hauteur de ce que la société attend de toi, de ne pas être à la hauteur de la « femme libre »…
À toutes ces femmes qui sortent du cadre, à toutes celles qui s’acceptent, se tiennent debout; à toutes celles qui réussissent à se pardonner leurs imperfections et qui réussissent à s’aimer un peu plus chaque jour, je dis bravo. Pour moi, c’est ça être une femme libre.
Dix-sept ans, hein! J’aime sa suite dans les idées. J’aime son regard scrutateur sur la société. J’aime qu’elle se questionne et arrive à le mettre en mots. Et… j’espère pouvoir te reparler, un jour, de son roman en chantier!
© unsplash | Hollie Santos
oh je me suis dit, mais je connais ce nom-là ! L’épatante Lili-Jeanne dont j’ai toujours aimé la vivacité et le regard et elle le prouve haut la main avec ce texte . Elle a déjà compris du haut de son jeune âge le carcan que nous impose la société contemporaine. Lili-Jeanne, tu es sortie de ta cage, profite ! Envole-toi ma belle !
Merci à toi de publier son texte
C’est un plaisir de partager ses mots. L’acuité de con regard si frais m’épate.
Ouah ouh ! Je n’aurais certes pas écrit un tel texte à 17 ans ! Quelle maturité ! Quelle compréhension du monde, de notre société… J’espère qu’elle va poursuivre, qu’elle va continuer à écrire… et merci à toi pour le partage de ce texte.
À 17 ans, j’étais dans un marasme existentiel pas possible. Je n’aurais jamais été capable de me détourner de mon nombril pour regarder la société qui m’entoure.
Je salue haut et fort ses mots, et je les partage avec enthousiasme.
Bravo, excellent texte qui fait réfléchir.
Il me semblait important de partager ses mots. Je suis ravie qu’il fasse réfléchir.
Comme l’indique Krol quelle maturité car il m’a fallu bien plus de 17 années pour faire les mêmes constats….. Et tellement bien dit, construit…. De la graine qui ne demande qu’à pousser 🙂
Moi aussi, il m’a fallu bien plus que 17 années pour faire les mêmes constats! Il y a les mots, mais il y a aussi la construction. Et le questionnement. Elle n’est pas vindicative et ça me plaît. Imagine son futur roman!
Voilà qui est prometteur, et qui révèle une jeune femme intelligente et sensible. J’espère qu’elle l’écrira, oui, son roman… ou même SES romans !
Je mets de la pression sans trop en mettre. J’ai lu le brouillon – plan et je suis sincèrement curieuse d’en lire davantage…
Oh… elle est souvent acquise durement, cette lucidité envers les différentes couches d’attentes et de pression sociale. Plus tôt on en prend conscience, plus tôt on peut tenter de s’en défaire je dirais. Belle plume et belle vivacité d’esprit, Lili!
Acquise durement, oui. Rarement de gaieté de plaisir, aussi…
Mais que ce texte fait du bien!!
Je suis à la fois impressionnée par la justesse des mots de Lili-Jeanne et à la fois attristée de penser qu’à 17 ans, elle constate les mêmes choses que moi qui en ai 43…
Je comprends que tu aies hâte de lire son livre! Se poser une telle question à son âge et y répondre avec tant de maturité d’esprit et de manière si structurée, chapeau bas! Merci pour ce partage.
Tu comprends que je ne pouvais passer ce texte sous silence! Tout est juste, je trouve.
J’aime beaucoup le ton, sans virulence, avec la série des « pas trop », elle pose très bien les limites que nous nous imposons … Bon courage à elle pour la suite !
Moi aussi. L’absence de virulence est notable, surtout à cet âge où, généralement, c’est moins nuancé.
Ah, ces fichues limites… S’alléger des ses limites est l’un (parmi d’autres) des avantages de vieillir, du moins en ce qui me concerne.
Merci pour ce partage ! C’est un beau texte bien construit, très pertinent, et qui laisse deviner chez ta jeune amie une grande capacité d’écoute de l’autre et un regard plein d’acuité sur la vie. Oulalah, ça promet ! Bravo à elle.
Ça promet, tu le dis bien!
Si j’avais pu avoir cette lucidité à 17 ans… !!!
Et moi, donc!